Conclusions (?)
Ce serait un peu absurde de « conclure » sur un cours de littérature et philosophie.
Les sciences humaines n’évoluent pas, au sens où elles n’ont pas une progression de connaissances, car celles-ci ne sont pas fixes. C’est une sorte de fiction : on recommence à chaque fois du début, contrairement aux sciences physiques où on bâtit chaque fois sur un savoir établi (où on peut observer une progression).
Ce qui est universel dans les sciences « dures », c’est le système formel.
Les sciences humaines (humanœ litteræ) portent sur l’étude des textes. Elles ne portent pas (directement) sur l’humain, mais sur la production textuelle.
Les questions de départ
- Qu’est-ce que la littérature?
- Qu’est-ce que la philosophie?
- Qu’est-ce que ce et?
Il y a une grande porosité entre les deux disciplines. Leur définition n’est assurément pas (et ne sera sans doute jamais) consensuelle.
Il faut savoir situer nos propres rapports à ces disciplines (dans le cadre de l’institution, qui limite, encadre les choses par nature), en prendre conscience.
Par le et, on chercher à confronter les deux disciplines (en ce qui les distingue, ce qui les différencie).
Il est difficile de cerner un objet d’étude; et pourtant, il faut le faire (on y sera confronté dans une carrière universitaire).
Pour distinguer les disciplines (d’un point de vue institutionnel), on peut se servir du corpus (ce qu’on a déterminé comme un texte de littérature, dont pourrait faire l’objet une thèse de littérature, par exemple).
C’est le corpus qui fait la discipline.
Qu’est-ce que la littérature?
La littérature naît au XVe avec les humanæ litteræ et progresse jusqu’à la formation d’un « champ ».
La théologie peut avoir un statut problématique : dans quelle discipline la range-t-on? L’étude de la bible peut être classée de deux manières :
- étudier la bible comme divine litteræ (et donc non comme littérature produite par les êtres humains)
- étudier la bible comme humanæ litteræ.
Critique institutionnelle
L’Université de Montréal a été créée comme succursale (en 1978) de l’Université Laval (laquelle a été fondée par le Monseigneur de Laval, un prêtre qui a fondé le Séminaire de Québec).
Le département de théologie de l’Université de Montréal sera démantelé l’année prochaine pour être réintégré comme « institut de recherches religieuses » au sein de la Faculté des Arts et des Sciences. Cette nouvelle s’inscrit dans une progressive laïcisation de l’institution : il faut prendre une à distance vis-à-vis d’un objet d’étude (on ne peut pas s’intéresser à la Bible sous le motif « qu’on y croit »).
Le premier à s’être intéressé à l’écriture de la Bible est Spinoza, dans un traité philo-politique. Spinoza s’intéresse à la philologie de la Bible (qui a écrit la bible? Comment a-t-elle été écrite? etc.).
La formation d’un champ
C’est Bourdieu qui a le premier théorisé l’idée d’un « champ ». La notion de champ cherche à éviter une idéalisation de la littérature. Bourdieu s’intéresse à la littérature dans sa genèse, dans sa réalité concrète, et donc sans détacher de la réalité matérielle dont les livres sont issus, et surtout des réalités sociales et politiques.
On pourrait aussi aborder la littérature avec une vision calquée sur la notion aristotélicienne – littérature, mimesis, poésie, roman, fiction. L’art, chez Aristote, se manifeste comme tecnè – ce que le français a rendu par « technique » (le grec ne faisait pas la distinction entre « artiste » et « artisan », ce que le français fait).
Le roman a su produire son propre modèle économique – c’est l’une des choses qu’on arrive à vendre très facilement. Le roman, par sa force économique, s’est constitué un champ grâce à son succès économique.
La poésie, quant à elle, « n’a pas réussi à produire son propre modèle économique1 ». Les poètes (et dans une légèrement moindre mesure, les auteurs littéraires) qui vivent de leur propre plume sont rarissimes, voire inexistants2.
La question du langage
Les départements universitaires sont souvent divisés selon la langue (par exemple, un département de littératures françaises, anglaises, italiennes, etc.).
Le langage semble plus fondamental en littératures (où il paraîtrait absurde d’étudier la littérature russe sans connaître la langue russe, par exemple) qu’en philosophie (on n’a pas besoin d’être parfaitement bilingue pour lire des auteurs grecs ou allemands – cela est bien accepté).
Le langage est à la littérature ce que la raison est à la philosophie. Tensions : certains sujets ne peuvent pas être traités philosophiquement parce qu’ils s’avancent au-delà des barrières de la raison.
Qu’est-ce que la philosophie?
La philosophie s’inscrit aussi dans les humanæ litteraæ.
La philosophie analytique (Wittgenstein, Russell, Frege) se détache de la philosophie continentale, puisque la dernière est jugée comme abstruse et dont les problèmes ne reposent que sur des ambiguïtés sur les mots.
La philosophie analytique est plus théorique, là où la philosophie continentale est plutôt traditionnelle.
La rationalité, définie tantôt de manière différente selon les traditions, demeure prépondérante en philosophie.
Intermède : l’argument de la diagonale
Voir l’argument sur la page de Wikipédia
Qu’est-ce que ce et?
Ce n’est pas nécessairement une opposition (peu importe ce qu’on en a dit…).
La littérature pour faire philosophie
La littérature peut faire de la philosophie entre autres choses – voire faire de la philosophie mieux que la philosophie elle-même!
La littérature critique la philosophie
La littérature dit parfois que la philosophie n’est pas une bonne discipline! Elle se perd parfois en élucubrations, en faisant des choses absurdes qui font s’écrouler les valeurs – pour aucune raison valable.
Pour certains, la raison est en train de délirer (Valéry, Aristophane, Voltaire) : il faudrait plutôt se tourner vers certaines formes de l’art qui nous en disent plus (comme la musique ou l’architecture), voire qui nous rapprochent encore plus de la réalité que les discours limités de la philosophie.
La philosophie pense la littérature
La philosophie a toujours une approche omnivore : tout peut être philosophie, ou alors on peut philosopher sur tout et n’importe quoi. La théorisation de la littérature donne lieu à une certaine avance sur celle-ci.
La philosophie a parfois la propension de parler de tout et de n’importe quoi, et ce sans savoir de quoi elle parle.
Des questions institutionnelles
Qui définit ce qui est littérature? Qui définit ce qui est philosophie?
Quelle est la place des intellectuels dans notre société? (La question concerne aussi bien les philosophes que les littéraires, mais aussi l’ensemble des acteurs du milieu universitaire, ainsi que ceux qui prennent part à la constitution du savoir – sa mise en forme, son inscription matérielle, etc.3)
Notes
C’est bien sûr Marcello qui énonce cette généralité. ↩︎
Il y a de très rares exceptions, mais la plupart ne vivent pas de leur propre écriture, mais plutôt des à-côtés de leur notoriété publique, ou d’autres emplois comme les professeurs de philosophie. ↩︎
Marcello laisse la question ouverte : est-ce que les prochains « intellectuels » (ou ceux d’aujourd’hui, en fait) ne seraient pas ceux qui font la technologie aujourd’hui (les ingénieurs et autres actants chez Google, Facebook, Uber, AirBnB, etc.), remplaçant les professeurs de philosophie dans les classes? ↩︎