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Les arguments complexes, support conjoint et la notion d’argument valide

Objectif : se sensibiliser à la présence d’arguments dans les textes, dans les discours.

Il peut y avoir des arguments dans les arguments.

Note importante : lorsqu’on présente un argument c’est une chose que de recevoir des arguments; c’en est une autre de construire une structure argumentative.

La notion d’argument invalide est importante pour repérer les sophismes. Les sophismes sont des erreurs (il n’y a rien de tel qu’une «théorie des sophismes», sinon une «théorie de l’erreur»).

@exm Qu’est-ce qu’un argument valide? (Savoir montrer ce qu’est un argument valide et pouvoir donner des exemples. Reviendra à tous les contrôles.)

Les arguments complexes

Exemple d’argument :

Si Socrate est mort, alors ou bien il est mort alors qu’il était vivant ou alors qu’il était mort (1.). Mais il n’est pas mort alors qu’il était vivant (2.); car il était assurément vivant et en tant que vivant, il ne pouvait être mort. Il ne pouvait également mourir alors qu’il était mort (3.); car alors il serait mort deux fois. Donc, Socrate n’est pas mort (C.).

(Sextus Empiricus)

Définition : un sous-argument est un argument qui est une partie d’un autre argument.

La fonction d’un sous-argument est de justifier une ou des prémisses d’un argument principal.

Dans l’exemple de Sextus, il y a 2 sous-arguments. Deux indices nous permettent de les identifier : les mots «car».

Attention : il peut y avoir des arguments implicites (non explicitement mentionnés dans le texte). Dans une analyse, il faut parfois mettre au jour les prémisses cachées pour que l’argument soit complet. Enthymème : les prémisses ne sont pas toutes mentionnées (ex. évidences pour l’auteur). Importance de rendre explicite ce qui était implicite (prémisses cachées).

Quels sont les principes utilisés parfois sans que l’auteur ne s’en aperçoive?

Les conclusions des deux sous-arguments deviennent des prémisses de l’argument principal.

  1. Si Socrate est mort, alors ou bien il est mort alors. qu’il était vivant ou alors qu’il était mort.
  2. Il n’est pas mort alors qu’il était vivant.
  3. Il n’a pas pu mourir alors qu’li était mort.

C. Socrate n’est pas mort.

Aristote avait développé des outils très simples pour que les énoncés aient toujours 2 prémisses.

Représentation graphique des relations des relations de dépendance logique, en forme standard :

1. Si Socrate est mort, alors ou bien il est
   mort alors qu’il était vivant ou alors qu’il
   était mort.
2. Il n’est pas mort alors qu’il était vivant.
3. Il n’a pas pu mourir alors qu’il était vivant.
------
C. Socrate n’est pas mort.

Les 3 prémisses soutiennent l’argument; elles agissent ensemble pour soutenir la conclusion.

1. + 2. + 3. => C.

On ne pourrait lire l’argument sans l’une des prémisses; elles travaillent ensemble, elles supportent conjointement la conclusion.

Platon utilise la métaphore des chaînes : 1., 2. et 3. sont enchaînées.

La prémisse 2. se justifie par 2 sous-arguments.

4. Socrate était assurément vivant.
5. En tant que vivant, il ne pouvait être mort.
------
2. Donc, Socrate n’est pas mort.

La prémisse 2. est une autre conclusion de sous-arguments 4. et 5..

4. + 5. => 2.

Ce qui mène au schéma (arbre) plus complexe suivant :

  4. + 5.
     |
     v
1. + 2. + 3. => C.

La prémisse 3. est appuyée par le sous-argument 6.

L’arbre se complexifie encore :

          6.
          |
  4. + 5. |
     |    |
     v    v
1. + 2. + 3. => C.

1. pourrait être justifié, mais pour Sextus il s’agit d’une évidence (ça pourrait ne pas l’être).


De quel genre d’argument s’agit-il? Comment se construit-il? Comment les prémisses sont-elles liées? (conjointes ou indépendantes?)

Main qui se dessine elle-même. (Dessin d’Escher)

En logique, il existe un phénomène curieux : des énoncés qui réfèrent à eux-mêmes. Le langage peut se référer aux objets, mais il a aussi la possibilité de se référer à lui-même. On peut construire des phrases qui réfèrent à des choses qu’on ne connaît même pas.

Support conjoint ou indépendant des prémisses

Dans certains arguments, les prémisses ne sont pas prises conjointement pour justifier la conclusion. Elles sont indépendantes.

Lorsqu’elles sont indépendantes, chacune d’entre elles est en principe suffisante pour justifier la conclusion.

Exemple :

(1) Les universités doivent s’attendre à subir davantage de coupures budgétaires parce qu’(2)elles ont moins souffert que les autres secteurs de l’éducation. De plus, (3) elles ne sont pas suffisamment orientées vers le marché du travail.

Bien qu’il y ait une conclusion et deux prémisses, ces dernières sont indépendantes. Chacune d’entre elles fournit une raison pour justifier la conclusion.

étant donné la numérotation précédente, le diagramme qui représente la relation logique entre les prémisses et la conclusion est le suivant :

2.    3.
 \   /
  \ /
   1.

Autre exemple :

(1) Hors de l’état, il ne peut y avoir ni des individus ni des groupes (partis politiques, associations, syndicats ou classes); Donc, (2) le Fascisme s’oppose au socialisme qui voit le mouvement de l’histoire comme un processus de lutte des classes et (3) de manière analogue, il s’oppose au syndicalisme des classes.

(Mussolini)

Le diagramme a une structure plutôt singulière : 1 prémisse, 2 conclusions!

   1.
  / \
 /   \
2.    3.

Pourquoi est-ce important?

La notion d’argument valide

La vérité des prémisses ne garantie pas que nous avons affaire à un bon argument, c’est-à-dire qui assure la vérité de la conclusion.

Exemple :

  1. Si Montréal est en Ontario, alors Montréal est au Canada.
  2. Montréal n’est pas en Ontario.

C. Montréal n’est pas au Canada.

Les prémisses sont vraies, mais la conclusion est fausse.

Définitions

Dans un argument valide, si on accepte les prémisses, on doit nécessairement accepter la conclusion (chaînes de diamant de Platon).

Dans un argument invalide, on peut très bien refuser une conclusion et pourtant accepter les prémisses.

Variante commune :

La notion d’argument probant

Définition : un argument est probant si et seulement si :

  1. L’argument est valide.
  2. Ses prémisses sont vraies.

Ces deux points garantissent la vérité de la conclusion. Si l’argument est valide et que les prémisses sont vraies, la conclusion l’est nécessairement.

Il faut que l’argument ait été identifié comme valide et que les prémisses soient vraies.

Le mot valide s’applique à un argument; on qualifie une proposition d’être vraie ou fausse.

La notion de validité renvoie à la chaîne : on qualifie par validité le lien entre les prémisses et la conclusion.

Il faut bien distinguer les deux notions et voir qu’un argument est d’abord valide ou non et, ensuite, probant ou non. Ce sont 2 questions distinctes. Si l’argument n’est pas valide, on n’a pas besoin de regarder le contenu des prémisses (que celles-ci soient vraies ou non) pour affirmer que l’énoncé est faux.

Exemple d’argument valide (Tiré de Monty Python The Holy Grail et cité par R. Arthur, p. 27 ) :

  1. Si elle est faite en bois, alors c’est une socière.
  2. Si son poids est égal à celui d’un canard, alors elle est faite en bois.

C. Donc, si son poids est égal à celui d’un canard, c’est une socière.

Les prémisses sont ici manifestement stupides! Ce n’est donc certainement pas probant.

L’argument est toutefois valide!

La première question à se poser : est-ce que c’est un argument valide? (Ou est-ce que je peux le transformer en argument valide selon le principe de charité?)

La deuxième question (elle doit venir en deuxième) à se poser est : est-ce un argument probant?

Nous avons tendance à inverser les deux étapes; nous sommes très attachés à la vérité (question de l’argument probant).

Il faut d’abord examiner la validité d’un argument; alors, si l’argument est invalide, on n’a même plus besoin d’examiner le contenu des prémisses.

Raison de se prémunir contre le biais cognitif envers la vérité : le biais de confirmation (on a tendance à donner son assentiment aux arguments qui vont dans le sens de nos croyances).

Autre exemple :

Ou bien nous devons faire de la philosophie ou nous ne devons pas en faire. Si nous devons en faire, alors nous devons en faire. Si nous ne devons pas en faire, alors nous devons en faire également (puisque nous devons justifier cette position). Par conséquent, nous devons faire de la philosophie.

(Aristote)

Façon très forte de présenter l’argument : utilisation «ou bien» (faux dilemme, néanmoins…).

1. Ou bien nous devons faire de la philosophie ou nous ne devons pas en faire.
2. Si nous devons en faire, alors nous devons en faire.
3. Si nous ne devons pas en faire, alors nous devons en faire également (puisque nous devons justifier cette position).
------
C. Nous devons faire de la philosophie.

Autre exemple :

1. Si Montréal est en France, alors Montréal est en Europe.
2. Montréal est en France.
------
3. Donc, Montréal est en Europe.

Dessin d’Escher : reflet du monde dans une flaque d’eau.

Il faut faire une certaine abstraction de la grammaire du langage pour accéder à autre chose.

1. Si la peine de mort réduit la criminalité alors elle est justifiée.
2. Des études ont montré que la peine de mort ne réduit pas la criminalité.
------
C. En conséquence, elle n’est pas justifiée.

Les arguments invalides : une question de forme

Contre-exemple logique :

Premier énoncé Deuxième énoncé
1. Si la peine de mort réduit la criminalité, alors elle est justifiée. 1. Si Montréal est en Ontario, alors Montréal est au Canada.
2. Des études ont montré que la peine de mort ne réduit pas la criminalité. 2. Montréal n’est pas en Ontario
C. En conséquence, elle n’est pas justifiée. C. En conséquence, Montréal n’est pas au Canada.

Ces deux énoncés sont invalides.

La validité d’un argument est fonction de sa forme.

Dans l’exemple précédent, les deux arguments ont quelque chose en commun : c’est précisément la forme (logique).

Une forme d’argument qui mène de prémisses vraies à une conclusion fausse est certainement une mauvaise forme.

Définition :

La validité : une autre caractérisation

Tableau :

Prémisses Conclusion Valide Invalide
Vraies Vraie Possible Possible
Au moins une fausse Vraie Possible Possible
Vraies Fausse Impossible Possible
Au moins une fausse Fausse Possible Possible

Remarques importantes

Cela nous dit que nous avons un outil (que nous ne pouvons pas toujours utiliser, mais dans certaines circonstances oui) :

On se sert d’une situation banalement vraie/fausse, en utilisant la même structure et en la présentant que c’est «comme si on disait…» pour montrer que les 2 arguments partagent la même structure.

Exemple d’un argument invalide :

Premier énoncé Deuxième énoncé Abstraction
1. Si la peine de mort réduit la criminalité, alors elle est justifiée. 1. Si Montréal est en Ontario, alors Montréal est au Canada. 1. Si 1, alors 2.
2. Des études ont montré que la peine de mort ne réduit pas la criminalité. 2. Montréal n’est pas au Canada 2. Non 1
C. En conséquence, elle n’est pas justifiée. C. En conséquence, Montréal n’est pas au Canada. C. Non 2

(La forme négative est importante.)

Autre exemple :

Chaque art et chaque recherche, de même que chaque action, vise un bien. C’est pour cette raison que le bien est vu comme étant ce vers quoi toute chose tend.

(Aristote)

Comparaison formelle :

Aristote Autre forme
Chaque art et chaque recherche, de même que chaque action, vise un bien. Chaque personne a une mère.
C’est pour cette raison que le bien est vu comme étant ce vers quoi toute chose tend. C’est pour cette raison qu’il y a une personne qui est la mère de tous.

L’inversion à l’œuvre est très subtile. C’est une erreur. De nombreux logiciens et mathématiciens ont commis des erreurs de cette forme. (Quantificateur illégitime.)

Remarques importantes :

Qu’est-ce qu’une forme d’argument?

C’est ici que nous devons commencer la théorie des formes d’arguments, des formes logiques.

Nous allons introduire deux langages symboliques, deux niveaux d’anlyse des formes logiques :