(dernière modification : )

Microsoft Word

Word est assurément le logiciel le plus utilisé pour écrire, en littérature mais également en sciences humaines et sociales.

Track Changes de Mark Kirschenbaum est l’un des rares livres à traiter du sujet (les logiciels de traitement de texte).

Les logiciels portent en eux une vision du monde.

Word a «gagné» selon Marcello: c’est le logiciel utilisé par tous, ses dommages culturels et intellectuels sont «irrécupérables», leur effet est permanent.

Si à peu près tous écrivent, très peu en fait maîtrisent les «techniques» de l’écrture. Il y a très peu de gens qui «savent» écrire.

À quoi sert un ordinateur?

À computer, à calculer.

Les informaticiens avaient l’habitude d’écrire la documentation à côté du code. L’écriture apparaît sur l’ordinateur grâce à la documentation des informaticiens.

Les ordinateurs, machines particulièrement onéreuses servant à calculer, n’ont a priori pas d’intérêt dans les foyers. L’intérêt vient du fait qu’ils permettent d’écrire. Ils remplacent ainsi la machine à écrire (appareils déjà présents à la maison).

Lse machines à écrire sont utiles pour enregistrer. Olivetti avait produit une machine à écrire électrique qui permettait d’enregistrer le texte et de l’afficher sur un écran (mais ce n’était pas un ordinateur).

Avant Word

On écrit du code et de la documentation, pour enregistrer et imprimer.

En 1976, Michael Schrayer invente l’Electric Pencil, permettant d’écrire du texte.

Tout le monde se met à écrire. Qu’est-ce qu’on écrit surtout? Des documents de gestion, des rapports, des lettres; on fait de la bureautique; c’est ce que la quasi-totalité des gens écrivent.

Des formats communs s’imposent. L’ordinateur vient «remédier» (Bolt and Grusin, Understanding Media) ce qu’on faisait avec la machine à écrire: on récupère le format (lettre en Amérique du Nord ou A4 en Europe), le mode d’écriture (longues lignes, un caractère plus ou moins lisible). On ne pense pas du tout à l’édition, mais à la bureautique.

En 1979, John Thomas Draper (surnommé «Captain Crunch») invent Easy Writer alors qu’il est en prison (hackeur de lignes téléphoniques). 2900 Hz: fréquence des téléphones qui permettait d’accéder aux fonctions administrateur. Cette fréquence correspondait à celle produite par les sifflets dans les boîtes de céréales Captain Crunch.

La même année (1979) arrive sur le marché le logiciel WordStar, qui introduit la notion de WYSIWYG (avec la métaphore graphique de la page reproduite sur l’écran l’ordinateur).

1984: sortie de l’Apple 2 (voir sa pub avec le parallèle avec 1984 de George Orwell).

Microsoft Word est commercialisé en 1983, c’est un logiciel qui incite à acheter un ordinateur (pour écrire – ce qu’une machine à écrire accomplissait déjà relativement bien).

Microsoft Word

Le format Word embarque une montagne d’informations pour faire la mise en page, la présentation sous forme de WYSIWYG – informations qui sont «cachées» à l’utilisateur (ce qui peut avoir certaines implications).

(exemple unzip du document Word, avec tous les fichiers embarqués)

Les principes

Interface graphique: Microsoft Word donne l’impression d’écrire une lettre.

Imprimé: l’environnement présente la page comme étant destinée à apparaître sur du papier.

Bureautique: la suite logicielle Microsoft Office est pensé pour répondre aux besoins de la bureautique (notes de réunion, rapports, documents internes, etc.). C’est pour cela que la machine à écrire a été pensée, c’est sur ce paradigme que repose sa conception, son rapport au texte, etc.

Format = software: il y a une «fusion» (ou confusion) entre le format et son logiciel: le format Microsoft Word fonctionne avec (et uniquement avec) le logiciel Microsoft Word. Pourtant, lorsqu’on écrit une lettre avec une machine Olivetti, on n’a pas le monopole de la lettre (ou peut utiliser une autre marque pour écrire une lettre identique).

Les effets

Les effets sont «néfastes» selon Marcello (et très forts).

La «désintermédiation» (illusion de): le format et le logiciel donne l’impression qu’il n’y a pas d’intermédiaire, il devient transparent, en particulier dans avec le paradigme WYSIWYG: on a l’impression d’écrire «directement», en mettant en forme sans intermédiaire la forme finale.

Cette illusion entraîne une perte de compétences: on imagine que le travail exécuté dans Microsoft Word correspond directement à celui de l’édition – alors que c’est complètement faux. Les gens pensent faire de la mise en page, qui s’improvisent metteur·euse.

L’expertise de mise en page acquise au cours des derniers sièlces est balayée de la main, comme si elle pouvait être remplacée par le logiciel de traitement de texte (qui le fait à la place de l’utilisateur, ce n’est même pas l’utilisateur qui fait le traitement des orphelines, etc.).

Avoir de la syntaxe cachée revient à perdre le contrôle sur ce qu’on écrit (les comportements étranges de Word nous échappent, on ne peut plus le contrôler).

Word engendre une perte d’utilité – on n’a plus le choix que d’utiliser un surcroît de ressources (un ordinateur onéreux) pour une tâche très simple (écrire du texte): devoir se servir d’un ordinateur comme crayon.

Les formats sont porteurs de valeurs. Ils incarnent une vision du monde qui lui préexiste (en mettant de l’avant, en singeant ou imitant, les pratiques existantes de la bureautique et de l’entreprise).

Le problème majeur, c’est lorsque MS Word devient la seule façon d’écrire du texte.