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BROUILLON

Marcello Vitali-Rosati et l’éditorialisation

Pour Pétrarque, ce qui constitue la particularité des humanités, c’est la production des textes.

Être humain est une chose différente dès lors que la production des textes est différente.

Une interrogation de l’éditorialisation: Qu’est-ce que l’humanité à l’époque du numérique?

Ce n’est pas tant une question d’outils ni d’ordinateurs, c’est plutôt une question de l’humain aujourd’hui; fondamentalement, une question de notre époque.

Aujourd’hui, nous pourrions actualiser plus finement ce discours en parlant «à l’époque de la covid», «en temps de pandémie» (le temps et l’espace des rencontres est déterminé par un phénomène commun qui redéfinit nos actions et notre vision du monde, et plus fondamentalement notre identité, en témoigne la convergence des humains sur les plateformes de visioconférence).

Une perspective philosophique

Pour Marcello, la philosophie est une non-discipline.

Marcello revendique une approche philosophique de la théorisation.

Un philosophe questionne un éditeur comme un être humain.

Qu’est-ce que l’humain à l’époque du numérique?

4 figures citées par Marcello:

Ainsi que Katherine Kayles.

Questionnements de la présentation

Le rêve du savoir total

3e siècle avant J.-C. la première traduction d’Aristè.

Savoir est pouvoir: ce n’est pas seulement avoir une représentation du monde, mais c’est aussi avoir la capacité à le manipuler. Le savoir n’est plus une simple représentation, il donne une prise sur le réel.

Un savoir architectural

Knowledge Design (Jeffrey Schnapp): l’ensemble des dispositifs qui font la structuration de l’information, car elles en produisent l’essence. Nous organisons structurellement, architecturalement la connaissance, mais c’est cette organisation architecturale qui donne naissance à la connaissance.

Architecture de la connaissance (Manuel Zacklad): Zackald oppose la notion d’architecture à la notion d’organisation (la seconde est trop vague). On tend vers une homothétie entre savoir et monde. La structure de la connaissance est la structure du monde.

Architecture de l’information (Richard Saul Wurman).

La notion d’architecture est riche aux yeux de Marcello car elle met le savoir de l’ordre de l’espace, c’est un espace que nous occupons au même titre que l’espace physique, tangible.

Google organise l’information, c’est pourquoi les gens l’utilisent autant. Lorsque Google achète une startup de cartographie, on se demande pourquoi elle s’intéresse à une entreprise aussi hétérogène: Google a compris qu’il y a une homothétie entre le monde et l’information.

Un savoir opérationnel

Le savoir nous donne la capacité d’agir. Ce qui pousse le savoir de plus en plus vers le monde, c’est qu’il corresopnde directement avec le monde (ex. géographe de Borges qui, pour créer la carte la plus détaillée possible, agrandit sa carte jusqu’à la faire correspondre exactement au territoire, dans un rapport 1:1).

Le web des objets

Un exemple de convergence du monde et de l’espace du savoir. Le web des objets consiste à ce que l’information, mais aussi les objets comme tels soient disponibles dans le réseau (identifiant dans le réseau, être connecté, comme la télévision, l’imprimante, le frigo, etc.). L’ensemble des objets connectés au réseau (et dotés d’un identifiants) correspondent physiquement à leur représentation dans le monde et détermine les actions que nous pouvons y exercer. Ex. Un pot de yogourt identifié dans un catalogue web peut être commandé et déplacé jusque dans le frigo connecté.

Homme et machine

Luciano Flori (paraphrasant Hegel): ce qui est réel est rationnel; ce qui est réel est information.

Les humanités numériques devriaent interroger les rapports entre les humains et les machines. «La question nous angoisse depuis des dizaines d’années: nous avons besoin de nous définir par opposition à quelque chose d’autre, et la machine semble un bon interlocuteur.» Comment pouvons-nous faire pour nous conforter que nous sommes «mieux» qu'«autre chose»? Vis-à-vis des animaux, c’est la rationalité qui distingue les humains. Les races ou les genres ont aussi servi à justifier des différences (ex. chez Aristote: les hommes sont du côté de la forme (porte le principe de génération, ce qui pousse au mouvement, intellekeia, acte, action) alors que la femme est du côté de la matière (qui permet à la forme de s’incarner)).

Posthuman studies

Nous aurions envie de dire que la machine est moins intelligence que l’être humain, elle est moins bonne que nous. En réalité, c’est le contraire: nous partons de ce que nous voyons dans la machine pour nous y opposer.

Le test de Turing consistait initialement en un jeu d’imitation où une personne de l’autre côté du mur (donc sans accès aux traits physiques) doit deviner si la personne de l’autre côté est de genre masculin ou féminin (avec les problèmes d’essentialisation que cela peut apporter…). L’évolution du jeu est entre un humain et une machine: on doit deviner si c’est une machine ou une personne qui nous répond. Cela se base sur des stéréotypes, des comportements socialement attendus: se comporter comme un homme, se comporter comme une machine sont des comportements codifiés, ce sont des jeux de performance de la subjectivité qui produisent les genres.

Post-humain voudrait ici dire non pas aller au-delà de l’humain, mais aller en-deçà de l’humain. Karen Barad: les frontières qui «donnent» les catégories humaines vs non humaines sont instables; en fait ces catégoriers seraient moins données, elles se stabilisent et se déstabilisent au gré des dynamiques qui les construisent.

Posthumanism in my sense isn’t posthuman at all — in the sense of being “after” our embodiment has been transcended — but is only poshumanist, in the sense that it opposes the fantasies of disembodiment and autonomy, inherited from humanism itself.

(Cary Wolfe)

Marcello n’est pas d’accord à 100% avec cette conception de Wolfe, mais il l’est concernant le caractère posthumain.

Éditorialisation

Qu’est-ce que l’édition (numérique) aujourd’hui?

Figures citées par Marcello qui ont travaillé sur l’éditorialisation:

Production de contenus à l’époque du numérique

Qu’est-ce qui change avec le changement de format?

Pistes déjà avancées:

Première définition restreinte en 2016:

[…] l’éditorialisation désigne l’ensemble des appareils techniques (le réseau, les serveurs, les plateformes, les CMS, les algorithmes des moteurs de recherche), des structures (l’hypertexte, le multimédia, les métadonnées) et des pratiques (l’annotation, les commentaires, les recommandations via les réseaux sociaux) permettant de produire et d’organiser un contenu sur le web.

(Marcello Vitali-Rosati, 2016)

Caractéristique 1: ouverture

Multiplicité d’acteurs: les acteurs sont plus nombreux, mais ils sont toujours limités, finis (on peut les identifier individuellement).

Multipliciité d’intentions: les dispositifs comportent des intentions et ces intentions sont multiples (un clic modifie la position d’un contenu dans une liste, dans une base de données, dans un moteur de recherche, mais cela ne relève pas que d’une seule personne).

La fusion entre contenus et objets

Et si les «contenus» et les «objets» étaient la même chose?

Une fonction d’agencement des relations entre des objets sur le web: lorsqu’on regarde une cartographie en temps réel, on ne s’attend pas à une simple représentation – c’est le monde réel.

On n’éditorialise pas des contenus, on éditorialise le monde.

Notre identité est aussi faite en bonne partie de l’éditorialisation (un restaurant existe et est réputé grâce à son éditorialisation).

Caractéristique 2: matérialité

Il n’y a rien de «liquide» ou «fictif» (virtuel, entendu comme non réel, séparé du réel): ce n’est pas quelque chose de fluide, qui change; ou encore «dans l’air», «dans le nuage» (le cloud). En régime numérique, tout est calculable: l’amitié prénumérique entre 2 personnes est effectivement qualifiable de «liquide», puisqu’elle fluctue et n’est pas «calculable». Au contarire, sur un média social comme Facebook, les relations sont comptabilisées et calculées (un individu est «plus ami» avec quelqu’un, en raison du nombre de clics, d’interactions, etc.).

Définition de l’éditorialisation en 2016:

L’éditorialisation désigne l’ensemble des dynamiques qui produisent et structurent l’espace numérique. Ces dynamiques sont les interactions des actions individuelles et collectives avec un environnement numérique particulier.

(Marcello Vitali-Rosati, 2016)

Caractéristique 3: ontologie

Les environnements numériques sont les espaces principaux de notre vie (cela semble tautologique lorsque nous tenons cette séance en visioconférence).

Les infrastructures, les protocoles, les formats déterminent comment nous interagissons très concrètement dans le monde réel (ce qui est permis ou non dans le logiciel de visioconférence, le protocole d’échange des données qui ne vérifie pas l’intégralité des paquets pour être plus rapide, notre accès à Internet par des câbles, etc.).

Mais qui est le sujet de l’éditorialisation?

Marcello s’est rendu compte que sa formulation de l’éditorialisation risque d’essentialiser certains acteurs (machines, humains), mais on a vu que les frontières sont fluctuantes.

Karen Barad propose de parler d’infraation ou d’intraaction (puisque «interaction» suppose deux pôles prédéfinis). Les pôles de l’intraaction sont définis après l’événement.

Nouvelle définition (2020)

L’éditorialisation est l’ensemble des dynamiques qui constituent l’espace numérique et qui permettent, à partir de cette constitution, l’émergence du sens. Ces dynamiques sont le résultat de forces et d’actions différentes qui déterminent après coup l’apparition et l’identification d’objets particuliers (personnes, communautés, algorithmes, plateformes…).

(Marcello Vitali-Rosati, 2020)

Où sommes-nous? qui sommes-nous?

Marcello et Jean-Marc Larrue préfèrent parler dde «conjoncture médiatrices».

Des dynamiques qui produisent un espace et ensuite:

Rien n’est isolé, nous ne sommes pas des corps isolés mais dans un environnement (biodome) partagé; nous sommes la somme plus ou moins distincte de nos interactions.

Conclusion

2 responsabilités de l’humaniste:

Questions

Théorie trop large, inopérante?

Est-ce un mal d’être «inopérante»?

La théorie de l’éditorialisation nous éclaire sur les présupposés (les plateformes sont plus ou moins essentialistes, elles entretiennent des conceptions du monde, de certaines actions).

Toute notion individuelle est un résultat, et pas un point de départ. Cela change le point d’observation.

Opposition facile entre sens et syntaxe peut avoir des conséquences graves (ex. sexisme, «le secrétaires qui écrivent»).