Bibliométrie
Conférence donnée par Vincent Larivière.
Comprendre comment la science se fait, communication savante.
Chamboulements de l’ère numérique.
À quoi servent encore aujourd’hui les revues savantes?
La bibliométrie
Méthode quantitative où on mesure l’activité scientifique des documents écrits par les chercheurs. Le seul extrant du processus de recherche scientifique (académique), c’est un article. Les nouvelles connaissances sont incorporées dans ces formes de littérature.
Dès la fin du 19e siècle, on se rend compte (du fait de l’accumulation physique des documents), il faut faire des choix. Les bibliothécaires ont commencé à analyser les références des chercheurs: qu’est-ce que ces gens citent pour savoir de quelle littérature ils ont besoin?
Bibliographies statistiques pour aider à faire des choix sur les périodiques les plus importants. Tournant plus massif dans les années 60 avec une certaine infrastructure technologique, des moyens d’indexation (et surtout aujourd’hui, ex. Google Scholar).
Les usages sont multiples:
- science de la science (scientométrie): comprendre comment la science se fait. Quelles sont les biais (ex. biais de genre, place des femmes)?
- recherche fondamentale en sociologie et histoire des sciences. Âge des documents, remplacement par des nouvelles théories. Mesurer des phénomènes/comportements dans al communauté scientifique (il y a 70 ans par exemple).
- politiques scientifiques: les états mettent en place des structures qui soutiennent la recherche. Comment organiser la recherche, diviser le financement (médecine, sciences sociales)? Un peu d’argent à tout le monde, ou beaucoup d’argent à quelques-uns? Vs taux de succès des recherches d’après les investissements (les données bibliométriques permettent d’éclairer ce point).
- évaluation de la recherche: incitatifs (ex. primes) à publier dans les revues les plus prestigieuses (ex. en Chine, 3x le salaire normal d’un chercheur après avoir été publié dans Nature). Au Canada, cet effet est très modéré, mais dans des universités ailleurs dans le monde la bibliométrie peut être très utilisée par les cadres d’universités pour allouer des fonds de recherche. Cela peut créer beaucoup d’inéquités.
Indice de citations
Bases de données qui indexent les métadonnées des articles (résumé, liste des auteurs, journal, titre de l’article, institution, domaine, références). Cela permet notamment de cartographier la recherche (réseaux entre les auteurs, lieux où se fait la recherche, contributions d’une université à un domaine donné, etc.).
À partir des citations, on peut voir la proximité intellectuelle de certains auteurs (cités ensemble), leurs relations cognitives.
Remerciements: qui et quoi vient-on remercier? Un peu de fouille de texte.
Remerciements de type financier: organismes subventionnaires.
Remerciements comme interfaces sociales: tailles des équipes.
Infrastructure de la Chaire de Vincent Larivière
- Web of Science de Clarivate Analytics
- Dimensions.ai: indexe des articles de tous types, dans toutes les langues (tous les articles avec DOI).
- PubMed / Medline
- Financement de la recher che au Canada/États-Unis
- Tous les brevets d’invention à l’évhelle mondiale: Patstat et USPTO
- Médias sociaux liés à la science (Twitter, Zotero, Mendeley): mesurer d’autres traces des documents en ligne (et non pas seulement les sources traditionnelles).
Diffusion des connaissances
Les chercheurs ont toujours diffusé leurs connaissances. Historiquement ça s’est fait par traités (documents courts) et correspondances épistolaires.
À la Renaissance, fondation des premières sociétés savantes. Notamment, la société savante de Londres, société derrière la première revue savante.
Les sociétés savantes
Fait intéressant: la vitesse de diffusion était très rapide, voire plus rapide (ex. 1 mois). Aujourd’hui, les délais peuvent être très longs dans certains domaines, certains papiers pouvant prendre des mois, voire des années à être publiés.
Le nombre de revues augmente de façon exponentielle en raison de la division/spécialisation des revues par domaine.
L’ère numérique
Émergence au début des années 1990, démocratisation de l’usage au milieu des années 1990 (achats des ordinateurs par les universitaires, abonnement des foyers à l’internet à la maison). Nécessite moins d’espace physique, donc reconfiguration des espaces traditionnellement dédiés aux revues savantes.
Le numérique a ramené la croissance exponentielle du nombre de revues. Une partie de la croissance est due aux revues prédatrices (qui chargent un montant pour être publié, mais sans aucune révision par les pairs).
Importance relative des langues
Déclin relatif de toutes les langues sauf de l’anglais, en particulier depuis la chute du mur de Berlin.
Pour des raisons d’indexation, l’anglais est favorisé («pour que la recherche soit bien indexée»).
On attribue aussi un plus grand prestige à l’anglais.
Déclin de création des nouvelles revues en langue allemande en Allemagne. Situation pas beaucoup plus reluisante pour le français au Canada.
Consolidation de l’édition savante
Article en 1995 qui explique pourquoi Internet signerait la fin d’Elsevier. Un autre camp suggérait que l’Internet permettrait de consolider la place d’Elsevier – ce qui s’est passé.
Déclin très important des petits éditeurs (surtout en sciences humaines). Depuis quelques années, 5 entreprises contrôlent plus de 50% du marché de l’édition savante. C’est un oligopole.
Les chercheurs ne sont pas payés pour écrire leur article; les réviseurs ne sont pas payés pour leur révision; les petits éditeurs reçoivent généralement des sommes symboliques; mais les institutions doivent quand même payer pour accéder au savoir (de l’ordre de millions de dollars annuellement). Création d’une clientèle très captive.
Le numérique n’a pas amené une plus grande démocratisation de la publication scientifique, mais a plutôt donné lieu à une concentration économique.
Les éditeurs commerciaux contrôlent 2 types de capitaux:
- capital économique (argent)
- capital symbolique (chose à laquelle on accorde de la valeur), comme Nature ou Science.
Les éditeurs commerciaux contrôlent les revues prestigieuses, dotées de capital symbolique. C’est un énorme problème.
Pour se sortir de ça, il faut découpler le capital symbolique (importance accordée au savoir scientifique, à la découverte) du pouvoir commercial.
Libre accès
Le libre accès est une solution intéressante. Pratiquée depuis longtemps par les chercheurs en informatique mais surtout les physiciens qui ont été les précurseurs avec le dépôt d’articles sur arXiv dès 1991.
Deux formes du libre accès: doré et vert.
Libre accès doré: l’article avec sa mise en forme finale, est accessible gratuitement sans frais d’abonnement. Parfois, les auteurs doivent payer pour la publication (APC, academic publishing charges). Il y a des éditeurs à but lucratif et des éditeurs à but non lucratif (au service de la communauté).
Réappropriation du libre accès par les éditeurs commerciaux.
Les auteurs payent pour que leur article soit disponible gratuitement. Cependant, même si certains articles sont en libre accès, les éditeurs ne réduisent pas les prix d’abonnement – pratique du double dipping (double paiement).
Dans son incarnation dorée, le libre accès a donc certains problèmes.
Libre accès vert: auto-archivage des articles dans une archive ouverte (ex. son article final approuvé et publié dans une revue), sur son propre site web, sur la plateforme d’une université gratuitement.
Prépublications: les articles sont disponibles plus rapidement, car ne sont pas encore passés par le filtre de la révision par les pairs.
Le fait de ne pas avoir été révisé par les pairs ne signifie pas l’absence de contrôle de qualité! Les chercheurs font souvent de la révision interne, avec leurs collègues, etc.
Changements entre la pré-publication et la publication? L’évaluation par les pairs change-t-il vraiment le contenu des articles scientifiques? «Pas vraiment». Plus de 60% des manuscrits ne changent «à peu près pas».
La révision par les pairs sert d’abord de filtre, mais les modifications apportées sont généralement très mineures. Environ 20% des articles reçoivent des changements importants, mais la majorité des contenus restent stables.
La pré-publication est regardée comme légitime aux yeux des physiciens depuis longtemps, contrairement au domaine médical, où on est beaucoup plus «frileux».
Les mandats des universités sont généralement peu contraignants, permettant le libre accès.
Modèle exemplaire en Belgique: seuls les articles en libre accès sont considérés (pas le C.V., pas les articles derrière des murs payants).
Les mandats sont plus forts que les cultures disciplinaires, selon les mandats des organismes subventionnaires (les chimistes ne publieront pas spontanément en libre accès, mais lorsque leur financement l’impose, ils vont le faire). Les politiques qui ont des dents peuvent faire changer les comportements.
En Europe, il y a le Plan S: regroupement d’organismes subventionnaires qui veulent promouvoir le libre accès, mais de manière «juste» (fair), se réapproprier les moyens de diffusion sans tomber sous le joug des grands éditeurs.
- pas d’embargo, disponible immédiatement (ou après 12 mois, compromis)
- les droits demeurent aux auteurs (pas cédés aux éditeurs)
- frais de publication transparents (ce pour quoi on paie). Souvent c’est complètement opaque avec les grands éditeurs.
- APC payés par institutions ou organismes, pas individus
- les revues hybrides ne sont pas supportées
- respect des politiques doit être monitoré, il faut mettre en place des mécanismes de suivi (conséquences: enlever des fonds).
Aujourd’hui, environ un article sur deux est disponible en libre accès. Le libre accès permet aux pays en développement d’avoir accès au savoir (faute de fonds pour s’abonner aux revues payantes, qui sont déjà très chères pour les institutions occidentales).
Pour avoir un impact global, le libre accès est un incontournable.
Il y a donc un avantage individuel (on sera davantage lu et cité et trouvé).
Altmétriques
Mesures alternatives, qui ne sont pas des mesures de citation, mais plutôt des traces comme les liens sur YouTube, les médias sociaux, les téléchargements PDF ou HTML, etc.
C’est une approche très inductive: on constate un phénomène, il y a des données, il y a peut-être quelque chose à faire (pas toujours, mais parfois oui).
Les altmétriques sont intéressantes tant pour auteur (voir qui parle de nous) que pour lecteur·trices (quelle discussion globale entourant un article, un chercheur)?
Rapport au passé
On s’intéresse à des périodes toujousr un peu plus loin dans le passé (relativement au présent).
Rôle des revues
Le numérique a chamboulé plusieurs choses.
Les revues n’ont plus le monopole sur les publicatoins scientifiques, ni sur les réseaux sociaux.
L’archive peut se faire sur des dépôts institutionnels/publics (plus exclusivement les éditeurs).
La revue joue encore un rôle social, c’est le vecteur de capital symbolique le plus important.
Tant que l’octroi du capital symbolique et du capital symbolique seront liés, il va y avoir des problèmes.
Faire comme les physiciens? (Majorité d’articles sur arXiv) Faire confiance à la communauté scientifique (pas de révision par les pairs n’est pas synonyme d’absence de qualité).