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BROUILLON

Archive et patrimoine à l’heure numérique: éditorialiser le passé

Conférence de Servanne Monjour.

Servanne travaille sur les tThéorie des médias, notamment médias visuels, et l’édition numérique. Servanne s’intéresse aux récits un peu inclassables (littérature poético-pornographique, colelctifs aux auteurs non identifiables, comptes twitter littéraires, etc.).

Le numérique change certains concepts en archives comme le concept de passé et le concept de temps.

Présentation sommaire de quelques cas

Le patrimoine en ligne

Le web reconfigure nos rapports au patrimoine

Quelques caractéristiques de l’archive à l’époque du numérique

Patrimonialisation: numérisation massive, orientée sur l'accès seulement. Institutions publiques qui émergent (ex. Gallica, Canadiana, etc.), mais aussi privées (Google Books).

Partager les collections pour mieux les diffuser. C’est le paradigme de l'accès qui est d’abord central. Invitation à venir profiter des fonds patrimoniaux (mais accès verrouillés, il faut prendre rendez-vous): à la BAnQ, on n’a pas un accès libre à la collection nationale (il faut s’identifier, prendre rendez-vous).

Qualité critiquée: quand Google Books décide de numériser tous les livres, ils prennent une seule édition au hasard (ex Un coup de dés de Malarmé), alors qu’on sait qu’il y a eu de multiples éditions (problématique d’un point de vue philologique par exemple).

Gallica: numérisation des images du texte numérisé (ce sont des images, pas du texte manipulable), c’est une photo.

Problème des modèles économiques

Gallica est fondé sur le libre accès, gratuit. Collections BAnQ aussi. Mais d’autres fonds nécessitent un paiement.

Donner accès n’a de sens que si on se demande ce qu’on va faire avec.

Paradigme de la circulation

On passe du paradigme de l’accès à celui de la circulation.

Modalité de circulation des contenus en ligne: on passe d’enjeux d’accès vers enjeux d’ouverture.

Problématiques:

L’éditorialisation comme acte de patrimonialisation

Une archive n’est pas une représentation du passé, c’est une contruction. L’éditorialisation devient une nouvelle fabrique, une machine à représentation de nous-même, du passé. Reconception du passé.

L’archive éditorialisée

Quelques traits consensuels:

Ouverture dans le temps

Nature processuelle de l’éditorialisation. La publication n’est pas la fin, mais le début de la signification d’un objet. Nouvelle relation au contenu, qu’on regarde en versions.

C’est une archive qui est performée, de nature performative. «Archive 3.0» (cf. https://mitpress.mit.edu/books/archive-everything)

«Archive au carré»: une archive qui pense son propre processus (archive de l’archive).

L’utilisateur comme producteur de nouvelles connaissances, de nouvelles interprétations, comme sujet.

Ex. 1 Jour 1 Poilu

Base de données du ministère pour rassembler des fiches de tous les soldats morts au combat. Ces fiches ont besoin d’être indexées (formats images qui doivent être interprétés). Histoires de famille.

Les participant·e·s n’ajoutent pas que des textes, ils apportent aussi de nouvelles images, mises en commun au service de tous. Sortes d’historiens amateurs. Inventorier la totalité des fiches des soldats morts pendant la guerre. Projet réalisé seulement par des amateurs (pas des historiens), force et puissance de travail ahurissante grâce aux outils numériques permettant la collaboration. Quelques années (~3 ans) par des amateurs vs travail de toute une vie d’une poignée d’experts.

Une ouverture dans l’espace

Pluralité d’environnements supports qui reconfigurent l’existence, la vie des contenus.

Ex. plateforme de l’INA, présente sur des nombreux réseuax sociaux comme Instagram. Plusieurs étudiants connaissaient déjà les archives via les fils instagram bien qu’ils ne connaissaient pas l’INA comme tel. Perdent de l’autorité traditionnelle, ce qui signifie qu’il y a une réappropriation.

Relation stigmergique

Influence réciproque entre technologie et pratiques. Sortir du déterminisme technique.

Les outils ont tendance à conditionner certains usages, mais il peut y avoir des usages qui les détournent. Fantasme heméneutique: les dispositifs numériques seraient capables de «faire émerger» ce qui échappait au regard (mais que la remédiatisation numérique permet d’actualiser). Ex. l'Encyclopédie de Diderot et d’Alembert: format impraticable (grande taille, multiples volumes, édition sur 20 ans, ordre alphabétique et non thématique). Présnce énorme de renvois (hypertexte avant l’heure).

Darnton estime que personne n’a pu lire l'Encyclopédie de A à Z car système de renvois trop compliqué. Aujourd’hui, on a accès à une version numérisée qu’on peut se réapproprier, réaliser une lecture hypertextuelle. «Serions-nous les premiers lecteurs de l'Encyclopédie?» Le support technique incarne le sens de l’œuvre. Heuristique du support: fond et forme sont indissociables; il faut penser des solutions techniques et médiatiques de diffusion qui incarnent le sens d’une œuvre, le sens d’une archive. Donc réflexion sur la technique.

Une dynamique collective: tous historiens?

Le patrimoine «doit appartenir à tout le monde», tout le monde doit se sentir investi d’un devoir mémorial – donc en faire une affaire collective.

Mais tout le monde a-t-il les compétences de faire une fouille? Mettre des garde-fous pour éviter les erreurs humaines et normales des amateurs?

Processus de ludification, mais aussi problèmes potentiels de droits, de façons de faire respectueuses? Traditionnellement ce sont des gens qui ont fait des études pour le métier qui ont fait des fouilles. Indexer correctement un document. Problème potentiel de digital labor: exploiter, sous le couvert de quelque chose de ludique, le temps et le travail des gens (normalement il y aurait des gens payés pour faire ça).

Archives en ligne: de l’institution patrimoniale aux institutions du web

Question politique des archives: Europeana, Gallica, etc. Plateformes hébergées sur le web. Redéploiement sur le web des archives: les jeunes connaissent les médias sociaux comme Instagram, mais pas directement les institutions Les organismes ont beau avoir leurs belles plateformes, on trouve les archives dans des canaux comme YouTube ou Google images. Perte de prise de contrôle des institutions patrimoniales.

On ignore souvent le détail des outils numériques (comment fonctionne l’algorithme PageRank de Google? «il y avait un algorithme qui ordonnait les résultats…!?») Présupposés idéologiques, sémantiques (le sens de ce qui est numérisé, comment cela est fait par les plateformes). Risque de ne pas avoir le contrôle sur la diffusion des archives.

Ex. récapitulative annuelle de Google (archives de données – «nos données»). Dramatisation du document, de l’archive. Montage promotionnel de Google mettant en scène les connaissances. Crise des archives?

Préservation des archives vs archivistique massive des grandes plateformes privées.

Matteo Treleani, Qu’est-ce que le patrimoine numérique.

Limites de la légitimité pas tant des contenus, mais des auteurs et des diffuseurs? Confusion entre auteurs et usages. Problème d’autorité des grandes plateformes de diffusion (YouTube, Facebook, Twitter…) souvent critiquées pour le manque de transparence et de contrôle.

Éloge de la mémoire… et de l’oubli

Tout peut être, en apparence, stocké, vendu, diffusé, enregistré.

Le passé a l’intérêt justement d’appartenir au passé, il perd de son «exoticité» lorsqu’il nous est constamment ramené au présent (ex. la une de l’INA avec ses archives quotidiennes).

Domestiquer le temps.

Inflation patrimoniale. Présentisme: le fait de tout archiver revient à tout «présentifier», le passé serait peut-être amputé de sa signification (appartenant justement au passé), perd de sa singularité.

Ex. pub McDonald (faux-)vintage, l’archive perd de sa signification, elle n’est plus le signe de quelque chose du passé mais signe d'authenticité.

L’archive n’est pas une représentation mais une construction. Nouvelles représentations (plus ou moins inédites) de mêmes, du monde, de nos société. Il faut critiquer ces constructions, les disséquer.

La pub McDonald est une forme de «barbarisme», car l’image n’est pas du tout une archive, n’a jamais existé.

Lorsqu’on applique des filtres «vintage» sur instagram, ce n’est pas pour en faire une archive, mais pour «faire authentique», répéter une esthétique de l’argentique mais qui n’a jamais en fait existé.


Comment assurer l’archivage dans un contexte où on produit beaucoup en régime numérique? Culturellement et selon les pratiques il me semble que c’est désastreux (formats désuets comme Flash), disques durs personnels (ordi qui flanche, laptop perdu/volé), tu as des idées comment les littéraires peuvent faire?


Retour sur la «régulation de l’oubli» évoqué dans le court entretien de Merzeau: peux-tu détailler un peu sur qui décide d’oublier (l’auteur·trice? l’institution, experte de la curation? la communauté, ex. via ce qui a reçu le + de likes?)