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Séance 2 : Naissance du drame bourgeois

Le XVIIIe siècle et les Lumières

Encore un peu de politique

Pas de différence fondamentale entre la philosophie et les sciences. Un philosophe est un homme de sciences, et inversement. Le rôle du philosophe publiquement est assez vaste.

L’humanisme est hérité de la philosophie italienne. Mettre l’être humain au centre du monde. Vulgariser le savoir pour l’être humain (pas nécessairement philosophe).

Baisse de popularité de Louis XV. Son gouvernement est aimé, mais surtout lorsqu’il ne règne pas (Cardinal Fleury à sa place). Louis XV prend des allures de despote lorsqu’il s’empare du pouvoir. Rôle des philosophes dans la circulation des idées.

La Marquise de Pompadour promeut la place des philosophes dans la société. Réconcilie les philosophes et le roi. Milite pour la diffusion de l’Encyclopédie. En faveur de la circulation des idées contestataires, liberté de parole. Pave la voie à Voltaire.

Voltaire

Voltaire, né François Marie-Arouet (1694-1778). Accueilli chez les Francs-Maçons (importance intellectuelle assez grande). Engagé dans combats politiques, contestation du pouvoir établi (ce qui lui vaut emprisonnement à la Bastille). Libéré de la Bastille sous promesse d’exil. S’expose aux idées de John Locke notamment. Se rend compte que la France est encore très sclérosée sur le plan de la liberté d’expression, de la circulation des idées. Milite jusqu’au bout de sa vie pour la diffusion des idées.

A écrit plusieurs textes dramatiques, pièces qu’on ne joue plus aujourd’hui.

Voltaire veut garder ce qu’il y a de plus important dans le théâtre classique. Défend l’idée que la tragédie est au service de bonnes mœurs, a un rôle à jouer au XVIIIe siècle. Ne se préoccupe pas de la recherche de l’écriture, de nouvelles formes théâtrales. Catharsis : dangereux, soulève passions.

Luigi Riccoboni

Luigi Riccoboni (1676-1753) : croit aussi au pouvoir de fascination du théâtre. On peut faire croire ce que l’on veut au spectateur. Se convertit tardivement à la religion et constate que la comédie italienne comporte beaucoup de grossièretés ; comédie particulièrement tendancieuse.

Riccoboni prend en considération le comédien : importance primordiale du regard. Le personnage s’incarne : il n’existe pas simplement dans la parole, dans le texte, la déclamation classique ne suffit pas. Permet de caractériser certains personnages, permet de donner un surplus d’humanité au personnage sur scène. Importance primordiale du regard.

Le jeu des comédiens-français pose problème pour le public. Théâtre très codifié. Gestes et déplacements limités. Jeu essentiellement statique à la Comédie-Française. Le jeu statique est valorisé : on condamne la gesticulation. Plus on bouge, plus on distrait le spectateur du texte magnifique qu’il devrait entendre.

Spécialisation par emploi : (système qu’on ne connaît plus aujourd’hui) comédien joue toujours le même type de personnage, le même type de jeu.

Dans la Comédie-Italienne, c’est l’inverse : travail constant du corps, savoir-faire dans plusieurs rôles et registres. Improvisation.

Diderot et le théâtre

Philosophie-auteur

Diderot : philosophe-auteur qui a traversé le XVIIIe siècle. Passe sa vie à avoir des problèmes d’argent.

S’installe à Paris en 1728 pour des études philosophiques. Famille qui l’encourage à une carrière religieuse, mais est déiste avant de devenir complètement athée.

Dirige le projet de l’Encyclopédie (ou Dictionnaire raisonné des sciences, arts et métiers) avec D’Alembert dans le but de regrouper tous les savoirs de l’époque. L’art est considéré comme une technique, au même titre qu’un métier.

L’ideé est d’abord conçue comme un projet de traduction, mais qui n’aboutit jamais faute de financement.

Projet de publication qui s’étale pendant ~20 ans (1751-1772), encouragé par Marquise de Pompadour. Entreprise des Lumières, fondé sur l’entendement, l’illumination de la pensée de l’être humain. Symbole des Lumières.

Textes orientés dans un même but, faire réfléchir le lecteur, l’amener à se servir de son propre entendement. Lettres, contes philosophiques (Jacques le fataliste et son maître), textes sur les salons d’art.

Liens avec Catherine II de Russie.

Aventure théâtrale (courte) : 1757-1758.

Théorie dramatique de Diderot

Principal opposant à Rousseau. Rousseau est un platonicien dans l’âme : pour lui, l’art est un mensonge, voire un double mensonge. La représentation est problématique en elle-même. Monde matériel et, au-dessus, le monde des idées. La réalité est dans les idées, et non dans le monde matériel. Ce qui existe dans le monde matériel n’est qu’une représentation, et non la chose en elle-même, idéale.

L’art est donc la représentation d’une représentation (ex. une peinture qui représente une chaise représente une représentation de la réalité). Renvoie à un leurre, une illusion. Détournement du problème du monde réel. Pour Rousseau, le théâtre n’a aucune utilité sinon de divertir, de détourner de la réalité.

Diderot serait donc un aristotélicien (par oppos. à platonicien comme Rousseau).

Diderot écrit 3 pièces et 3 textes théoriques, cherche à légitimer le plaisir du théâtre. Le spectateur prend plaisir à l’imitation, prend plaisir à comprendre un objet devant lui qu’il peut analyser en lui-même.

Diderot est davantage connu comme théoricien du théâtre.

Première brèche théorique et révolution dramaturgique assumée par une même personne (première fois en France). Réflexion théorique accompagnée de tentatives concrètes : les pièces sont des objets d’expérimentation concrets. Théâtre didactique (apprentissage) propre au théâtre/drame bourgeois.

Entretiens sur le fils naturel

Diderot est en dialogue avec le fils naturel. Entretiens, impressions de Diderot au sujet de la pièce que Dorval lui a fait lire.

Théorie du vrai : personnages non stéréotypés, peuvent passer d’une émotion à l’autre (on n’est pas toujours heureux/malheureux, surtout selon sa condition). Nécessité du mélange pour être plus proche de la vraie vie.

Diderot fait la recherche théorique/pratique du portrait de la tradition moyenne. Bourgeoisie (classe moyenne). Si le théâtre ne s’intéresse pas à la classe moyenne, alors pas important.

Imitation du vrai plutôt que Belle-nature. Ne suppose pas que la nature est parfaite. L’esthétique sert aussi à idéaliser le monde. On suppose, chez les Classiques, que la nature est imparfaite et qu’on peut l’idéaliser parfaitement, la recomposer à la perfection dans l’art. Pour Diderot, c’est la perspective inverse : la nature est déjà parfaite, on ne peut pas l’idéaliser plus loin. Si la nature est parfaite, le mimétisme est la meilleure pratique. Plus une œuvre ressemble à la nature, plus elle se rapproche de la vérité. Ressemblance imitation parfaite. Les Classiques représenteraient l’humain au théâtre de manière à l’idéaliser le plus possible (tel qu’il devrait être), alors que pour Diderot le plus important serait de représenter la réalité telle qu’elle est ; la véracité comme critère du beau.

Quelques idées importantes

Idées importantes que Dorval exprime dans Le fils naturel : sujet important. Pas de sujets frivoles. Sujets qui permettent d’entrer dans la vie privée des gens.

Intrigue simple, pas se subdiviser dans plusieurs intrigues. Entrée dans la vie quotidienne, dans une famille. Intrigue voisine avec la vie réelle des gens ordinaires plutôt que des histories de rois et de valets.

Les personnages doivent être des modèles existants (M./Mme tout-le-monde). Le théâtre pour Diderot fonctionne davantage par proximité plutôt que par éloignement. Pour lui la tragi-comédie est invraisemblable, deux barrières qui ne devraient pas se côtoyer.

Pour Diderot, les larmes sont plus puissantes que le rire, portent à réflexion. +Tragique plutôt que comique. Le théâtre doit susciter la réflexion morale. Théâtre qui veut enseigner. Choc des idées.

But du théâtre : faire une impression, impressionner la masse. Il faut que la pression soit si forte que le spectateur continue à penser à celle-ci après en être sorti. Impression majeure sur les spectateurs passe par deux transformations, deux usages peu répandus à l’époque : la pantomime et l’esthétique du tableau.

Diderot en a contre le coup de théâtre. Il veut substituer les tableaux aux traditionnels coups de théâtre (surprise, amène une transformation qu’on n’attend pas). Le tableau est une disposition de ses personnages sur la scène si naturelle et si vraie qu’elle serait plaisante si représentée par une peintre. On ne croit plus à l ‘appartement d’un prince si on ne voit pas tous les meubles de son appartement. Lumière qui change, chandelles, etc. Le visible devient particulièrement important au théâtre au XVIIIe siècle.

Théâtre de l’image : on accorde davantage d’importance aux yeux plutôt qu’aux oreilles. On ne s’est jamais intéressé autant à l’image avant le théâtre bourgeois. Tout vise à un rôle neuf de l’espace scénique, rôle neuf du corps. Couleurs locales (décors selon le lieu de la représentation).

Mieux vaut quelque chose d’orchestré que de maniéré : les coups de théâtre paraissent trop, on en voit les rouages. Confusion du spectateur.

Le génie

Le génie est un concept relativement nouveau à l’époque de Diderot. C’est celui qui peut faire ce qu’il veut.

Sentence : frappe l’entendement du spectateur, fait effet sur lui. Esthétique populaire au XVIII siècle que Diderot reprend et intègre dans son rôle au théâtre. Participe à la logique du génie.

Le génie convainc tout le monde. C’est un être sublime, d’exception. Il échappe aux règles. Élite intellectuelle auquel on permet les excès. Le génie peut dicter des règles de conduite qu’il n’a pas lui-même à respecter. Le génie peut avoir son utilité dans sa façon d’inventer des récits.

Diderot n’est pas le seul à défendre le drame bourgeois. Le drame entre au dictionnaire de l ‘Académie française en 1762 : reconnaissance du genre, admission qu’il existe. C’est un intermédiaire entre la tragédie héroïque et la comédie plaisante. Essai sur le genre dramatique sérieux (Beaumarchaiss, 1767).

Sur les genres dramatiques

Le drame est un renversement du processus moralisateur de la comédie, où l’on rit des figures d’autorité pour montrer l’absurdité de leur condition. Garder l’idée de la moralité, mais sans passer par le ridicule (comique) pour dénoncer. Édifier ; exemples à ne pas suivre.

Trame simple : permet de se rapprocher de l’esthétique de la peinture. Tableau plutôt que coup de théâtre. Pantomime plutôt que longues tirades (comédiens ainsi plus convaincants).

En résumé, Diderot veut :

Diptyque de la malédiction parternelle 1 : Le fils ingrat (1777), Jean-Baptiste Greuze.

Diptyque de la malédiction paternelle 2 : Le fils puni (1778), Jean-Baptiste Greuze. Interprétation dramatique de deux êtres qui n’arrivent pas à se comprendre. Exactement ce que Diderot veut voir sur scène.

Arrêts sur image de gestes qui expriment toutes les émotions des personnages du tableau. Pouvoir d’émouvoir et d’éduquer à la fois. Idéal pictural de ce qui pourrait se réaliser sur scène pour Diderot.

Extrait : description détaillée, précise. Écriture en prose plutôt qu’en vers (marque du drame bourgeois), prose coupée, haletante (points de suspension, points d’exclamation) collée aux sentiments qu’éprouve le personnage. Les noms (Dorval, Clairville) ne sont pas des noms de convention (contrairement à des personnages comme Arlequin, etc.). Laisse peu de place à la mise en scène/libertés des comédiens. Instructions très détaillées dans les didascalies. Scène-tableau : multitude d’émotions dès le départ, concentré émotif.

La question du comédien

Le quatrième mur

La première notion capitale est celle du quatrième mur : le comédien oublie la présence du spectateur, ne se laisse pas contaminer par les réactions du public.

Diderot en fait une définition :

Imaginez, sur le bord du théâtre, un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se levait pas.

(Diderot, De la poésie dramatique).

Disparition des banquettes sur scène. Moins porté sur la déclamation. Théâtre de l’image avant tout.

Geste et émotion

Le théâtre de l’image passe d’abord par le geste et l’émotion :

Paradoxe sur le comédien

Texte où il fait le point sur des éléments de sa théorie. Réalisme : nécessité de stylisation.

3 mouvements :

Les acteurs qui jouent d’âme sont inégaux. Le talent d’acteur ne suffit pas. Le talent de l’acteur est le fruit d’un travail sans relâche. Une technique parfaite, si l’on maîtrise les gestes, la voix, permet de faire passer l’émotion.

Dédoublement du comédien. Il ne faut pas que le comédien aille à l’encontre de sa sensibilité. Doit comprendre les émotions pour duper le public (mais pas lui-même).

Distanciation via exagérations.

Le comédien doit réinventer ses gestes, leur donner une ampleur qu’il ne donnerait pas dans la vie réelle. Retour à l’idée du grossissement. On peut se déplacer tout le temps, plutôt que le jeu statique à la Comédie-Française (où un simple geste permet d’amplifier une longue tirade).

Illusion plutôt qu’imitation : retour à l’art du théâtre comme mystification. Contrat entre la scène et la salle. Illusion du réel plutôt qu’une imitation. Distance par rapport au réel.

Réception et suite des théories

Rêve du drame philosophique idéal jamais réalisé, jamais complètement atteint (courte carrière théâtrale de Diderot). Les dialogues de Platon sont pour Diderot des drames philosophiques. Le drame bourgeois a eu assez peu d’influence : gâché par tirades philosophiques trop didactiques qui ralentissent l’action (le public n’est pas prêt) ou difficulté à sortir de son modèle théorique idéal (coups de théâtre, etc.). Trop orienté vers les dialogues, trop peu vers l’action.

Le monologue trop long pose toujours problème à l’époque. Parodies car on trop que le monologue est ridicule. Empêche le monologue philosophique d’avoir une postérité.

Gotthold Ephraim Lessing est fasciné par l’influence de Diderot, continuation en Allemagne.

L’exemple absolu pour Lessing est Shakespeare, avec comme bémol la complexité des intrigues, avec des durées trop longues.

À partir de Lessing, le théâtre se développe : grande popularité des idées de Diderot (versus difficulté, réception tiède en France).

Mélodrame : transformation du drame. Représenter les diverses classes de la société (seule classe à inclure toutes les classes, incluant les valets, ce que Diderot ne fait pas). Les intrigues sont fixées, ont toujours le même canevas. Le mélodrame tend vers le spectaculaire et le visuel. On ne se soucie pas (ou moins) de la qualité de l’intrigue ; la qualité de l ‘écriture n’est pas si importante, si le spectateur a ri et pleuré avec les comédiens.

Le mélodrame est un genre qui ne vaut pas grand-chose. Triste aboutissement du drame bourgeois. Donner du spectaculaire au spectateur.