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Séance 5 : Enjeux de la fin du XIXe siècle (1) : le naturalisme ; Stanislavski et Tchekhov

(Fin séance 4)

Monologue romantique. Dans Mariange de Figaro, idées imbriquées, retours sur soi-même. Ne se retrace pas aussi facilement. Lieu pour Lorenzaccio de faire la mise en scène du meurtre, répéter comment le meurtre se produira.

Monologue : introspection. Tourments intérieurs du personnage.

Exploration du moi.

Injonction à la patience, rapport au temps.

Le monologue du drame romantique décale l’attention vers le monologue ; n’est pas impliqué dans l’action ; suspension de l’action pour que le personnage réfléchisse. Faire passer le temps, et donc rapprocher inévitablement Lorenzo vers le meurtre. Complètement dissocié de l’action. N’insuffle pas une nouvelle énergie au personnage.

Deux mises en scène

Le naturalisme au théâtre

Fin XIXe, début XXe. Deux courants en même temps : naturalisme et symbolisme. La mouette de Tchekhov est une pièce naturaliste, mais également symboliste, si bien qu’elle témoigne de la tension entre les deux genres à l’époque.

Théories naturalistes

Le roman est le genre littéraire le plus important au XIXe siècle.

Auteur (et théoricien) : Zola (Le naturalisme au théâtre et Nos auteurs dramatiques en 1881). Faire une histoire précise naturaliste attachée à une époque et à un lieu précis.

Balancier théâtral qui tend d’abord vers le naturalisme et est ensuite divisé entre naturalisme et symbolisme.

Scène miroir du monde réel : pour Zola, les pièces doivent être travaillées avec exactitude et s’inscrire dans le monde contemporain ; étude du monde réel. Les auteurs n’ont pas à prendre de liberté d’invention (comme l’a fait Musset par exemple : trafiquer l’histoire).

Les personnages romantiques portent de grandes idées ; ce sont de grands personnages, ne ressemblent pas aux spectateurs, aux gens ordinaire avec une faible importance dans l’ordre du monde.

Profondeur psychologique maximale.

Nouveau jeu des comédiens. Zola aimerait l’instauration du 4e mur. Jeu réaliste.

Zola était un mauvais dramaturge ; comme Diderot, sa théorie dépassait sa pratique, si bien que son influence est amoindrie. Faible durée du naturalisme français.

André Antoine (1858-1943) : le premier metteur en scène

Permet au naturalisme de s’imposer scéniquement. André Antoine est un metteur en scène naturaliste. Expérimentations, développement des idées de la mise en scène.

Crée le Théâtre-Libre en 1887.

Causerie sur la mise en scène (1903) : mise en scène matériel + immatériel. Supervision du metteur en scène (révolution à la vin du XIXe siècle).

Accessoires/décors réels (terre, animaux) sur scène. L’avènement de l’électricité facilite l’aspect technologique de la mise en scène, notamment **éclairage (**possibilité de plonger la salle en pleine obscurité, auparavant seulement partielle avec système à gaz) et bruitage.

Les progrès d’éclairage ouvrent plus que jamais l’espace scénique.

Les comédiens peuvent jouer de dos (ce qu’on ne pouvait pas faire avant). Certaines innovations dans les conventions scéniques pour les comédiens.

Pas de faux-semblant pour l’illusion. Ex. La terre, paysage paysan avec bruits d’animaux.

Antoine retire de la scène tout ce qui n’est pas motivé par la pièce.

Fermé sur un système de représentation naturaliste ; ne tentera jamais dramaturgie ou symbolisme. Tradition naturaliste à 100 %. Prône l’idée du 4e mur. Baisser les rideaux entre chaque acte, de manière systématique.

Stanislavski : un théâtre du «revivre»

Constantin Sergeyevich Alekseiev (1863-1938). Prend le nom de Stanislavski pour se dissocier de sa famille ; nom d’acteur. Est également pédagogue.

Idéal naturaliste. Entre rapidement en contact avec l’œuvre d’André Antoine lors d’un séjour à Paris. Apporte le naturalisme à son retour en Russie.

Fonde Le Théâtre d’Art de Moscou en 1897.

Conflit avec Tchekhov dans la mise en scène de La cerisae.

Les textes théoriques sont écrits sous forme de fiction (La formation de l’acteur, La construction du personnage). Fait la première théorisation «naturaliste» du jeu de l’acteur.

Le « revivre »

L’idée du revivre chapeaute l’ensemble de l’œuvre de Stanislavski. Signification cachée du sous-texte ; l’acteur doit trouver et découvrir lui-même le sous-texte. Revivre : retrouver ses émotions. Système mémoriel (de réminiscence) : retrouver dans ses souvenirs des émotions appropriés du personnage qu’il doit jouer.

Travail sur la mémoire affective pour bien maîtriser les émotions ; bien connaître le mécanisme des émotions. Pour Diderot, connaître une émotion rationnellement sans la ressentir : le comédien doit être capable de se regarder jouer l’émotion, mais sans la vivre intérieurement ; dédoublement, se voir jouer.

Recours au «si» : «Que feriez-vous si vous étiez dans la situation du personnage ?»

L’acteur doit ressentir ce qu’il joue, mais doit contrôler l’émotion (la comprendre) ; ne pas se laisser emporter. Le caractère douloureux ne doit pas être vécu au présent. La théorie du jeu de Diderot se ramène ultimement à un jeu froid et technique, où aucune émotion n’est ressentie ; Stanislavski met en place un système émotionnel, mais qui repose sur une technique maîtrisée (travail du «revivre» ; psycho-technique). S’oppose ainsi à Diderot.

Mouvement de l’intérieur vers l’extérieur, transmission vers les spectateurs.

Travail de l’acteur : extériorisation

Mise au point d’une méthode : psycho-technique. Permettre au comédien de réactiver rapidement tout ce dont il a besoin pour interpréter son personnage.

Méthode pour toujours revenir sur le droit chemin, revenir au courant authentique («exactement comme le sentier est là pour ramener le piéton vers la grand-route»).

Éliminer le formalisme et la mécanisation du jeu trop monotone.

Perspective : variation dans le jeu. Tout est construit dans la perspective d’un «but final», le super-objectif.

Entraînement physique pour cerner la voix et le corps du personnage. Le personnage doit ressembler au comédien ; le comédien doit se transformer (corps, voix) pour représenter le personnage. (Exemple contemporain : Robert de Niro qui prend 40 lb pour jouer un boxeur dans Raging Bull.)

Exploration des possibilités expressives du corps de l’acteur.

Le travail physique n’est pas une fin en soi : le chemin emprunté par le comédien est important, sensations éprouvées sous forme d’énergie. Implique économie d’énergie, maîtrise pour pouvoir canaliser et déployer la bonne dose d’énergie à chaque fois, et non jouer toujours avec la même intensité.

Mouvement de l’intérieur vers l’extérieur. Se fondre dans un personnage est un travail imposé, factice.

Héritage par l’Actors Studio (1947), qui a formé de nombreux grands acteurs. Très populaire aux États-Unis au théâtre, mais au cinéma aussi. Incarner son personnage toute la journée, pas seulement devant la caméra. Fondre ses émotions avec celles du personnage.

Le théâtre de Tchekhov

Anton Tchekhov (1860-1904)

Regard pessimiste sur l’avenir.

Médecin de formation. Propension à l’observation rationnelle des choses en-dehors de tout sentimentalisme. Ne prend pas position, pas de position morale, défense de l’objectivité.

Influence décisive du roman : suit la durée du roman (espace-temps) n’admet pas de spectacularisation intempestive ; pas de place pour la «grande scène à faire» (pas de moment de grand dévoilement, de meurtre, etc.).

L’action de Tchekhov se noue et se dénoue. Représentation du banal, du quotidien.

À propos du drame moderne

Peter Szondi, Théorie du drame moderne.

Le drame moderne ne contient plus de gestes «purs» ou simples. Le comportement découle d’une série de circonstances variées.

Le drame devient inséparable de la vie quotidienne, de la vie banale. Il n’y a plus de héros, de personnage principal doté d’une importance plus marquée que les autres. Le drame finit par rejoindre le monde de la quotidienneté. Faire du petit quotidien intime l’objet principal de la pièce.

Tchekhov : tension entre l’insignifiant de tous les jours et le dramatique ; confrontation de deux pôles.

Le drame moderne s’appuie sur une première forme impossible du dialogue, un dialogue de sourds. Suppose monologues déguisés : personnages qui parlent sans se répondre.

Le drame moderne : un théâtre de l’intime

Le drame moderne suppose plus que jamais que l’on est dans le théâtre de l’intime.

Crise de l’intimité, du personnel, qui déborde du théâtre et de la littérature (au moment où Freud développe ses premières théories ; Sartre avec sa crise de l’intérieur dans Huis clos).

Espace familial, maisonnée plutôt que le lieu même. La famille (père, mère, frère, sœur) est au centre de la crise interne.

Théâtre de l’intime met en valeur l’irritation domestique vécue au quotidien. L’intime n’est pas le secret ; c’est d’être offert au regard de celui ou de celle qu’on a choisi ; ce que la personne veut montrer d’elle-même. Se donner en spectacle, le mettre en spectacle dans une liaison avec l’autre au plus profond de soi-même. Expression des sentiments les plus profonds de l’être humain.

Intime : intérieur de l’intérieur.

Lignes de force de Tchekhov

Importance du hors-scène : les événements importants se déroulent hors-scène. La vie est plus vaste que ce qui peut entrer dans le cadre d’une pièce de théâtre. Le drame n’est pas attaché à représenter seulement les «événements dramatiques» (ex. la mort d’un enfant).

Le théâtre, pour Tchekhov, n’est pas une suite d’événements dramatiques. Alternance entre le sérieux et le banal, le tragique et le quotidien. Tchekhov présente plusieurs scènes sans importance (du point de vue de l’action). Petits récits inopportuns du quotidien désamorcent sentimentalisme des grands événements importants.

Logique fondamentale : l’être humain ne vit pas seul au monde. Chaque être humain peut entrer dans l’existence de quelqu’un d’autre de manière imprévisible ; hasard. La vie d’un personnage ne s’arrête pas pour se dégager de toute intervention extérieure. On entremêle des intrigues sans les achever à la fin de la pièce.

Dans La mouette, il y a un certain nombre d’intrigues qui n’ont pas été terminées, liées aux liaisons hasardeuses des personnages qui troublent les autres.

Importance des silences. Plusieurs répliques sont faites avec du non-dit, choses qu’on devine qui sont plus importantes que ce qui est dit. L’âme humaine peut s’exprimer autrement qu’avec des mots.

La mouette

Œuvre charnière chez Tchekhov, début de ses autres grandes pièces.

Ouverture au symbolisme, se manifeste dans La mouette.

La pièce est d’abord créée en 1896 à Saint-Pétersbourg. La troupe est sceptique vis-à-vis de la pièce. Genre inclassable. Les acteurs ne sont pas sûrs du rôle qu’ils doivent jouer. La pièce est attendue comme un spectacle divertissant. Comédienne principale joue ordinairement dans vaudevilles et comédies légères.

Le public ne comprend pas, rit d’abord, puis trouve le spectacle ennuyeux.

Construction

Scène d’exposition in media res (au milieu des choses). Dès le début de la pièce, on se situe dans un événement déjà commencé. Méthode d’exposition souvent utilisée au théâtre. Deux choix : faire naître l’action sur scène (propre au roman) ou plonger le spectateur dans une action déjà entamée (théâtre).

Les motivations des retrouvailles sont banales. Place la pièce sous le signe de la banalité. Il surgit un drame que personne ne cherche à créer. Deux personnages qui ne se connaissaient pas au début de la pièce tombent amoureux simplement parce qu’ils ont passé du temps ensemble.

Révélations progressives, densification, retour au quotidien.

Renvoyer le dénouement au hors-scène. Suicide de Telnev en coulisse, décalé. Tchekhov avait déjà fait représenter un suicide sur scène ; La mouette marque ce changement vers le hors-scène.

L’action : rien ne se passe ?

Critique la plus fréquente : il ne se passe rien (pas d’action). Dans les faits, l’intrigue est plutôt complexe.

Les événements ne sont pas mis en valeur comme dans un drame classique, car baignent dans une surcharge de détails banals, insignifiants et sans importance. Trop de petites intrigues ; complexification de la pièce.

Il n’y a pas de gestes sur scène de remise en question le monde. Au contraire, Tchekhov pousse le drame jusqu’à ses limites dans la vie privée. Refus de dramatiser les histories privées pour adresser grandes questions de l’humanité.

Dans mes pièces, il ne se passe rien.

—Tchekhov

Le drame embrasse la vacuité, passe par la banalité.

Le temps du drame

La question du temps est travaillée de manière différente. Dans le drame moderne, les événements apparaissent dilués dans le temps. Chez Tchekhov, on rend compte du temps qui s’écoule entre deux événements ; on prend le temps de laisser le temps passer.

Renvoyer événements dramatiques au hors-scène pour mieux montrer que la vie continue en-dehors des événements dramatiques. L’action du temps est une force élémentaire qu’on ne peut pas combattre.

Le temps est également une préoccupation omniprésente pour les personnages : les personnages parlent tout le temps du temps qui passe. Les personnages de différentes générations ont des rapports différentes au temps.

On n’évoque pas la durée précise du temps qui passe ; durée difficile à cerner. La durée de l’action requiert déroulement du temps.

Le temps est une force créatrice, façonne les personnages.

Passage du temps marqué par passage des saisons (nuit d’été au début de la pièce, automne à la fin).

Regard vers le futur : Tchekhov est pessimiste, il n’y a pas de meilleur avenir à la fin de la pièce (perspective dans le contexte réel à la fin du XIXe siècle, qu’il n’y aura pas un monde meilleur). L’être humain sera toujours malheureux. Transparaît dans longs monologues à la fin de la pièce.

L’espace

L’espace chez Tchekhov a un rôle à jouer dans le rôle des personnages. Facteur actif. Lien entre l’intime et la nature, entre l’intime et le cosmique. Atmosphères qui prennent leur sens surtout à l’écrit (ex. didascalie d’ouverture de l’acte 2 : abondance de détails, trop recherché, pratiquement impossible à représenter scéniquement).

Resserrement progressif, de l’extérieur vers l’intérieur (jusqu’au cabinet de travail, petit espace). À mesure que le récit avance et que les événements se déroulent, l’espace se rétrécit, on entre progressivement dans l’intimité.

Tension entre la province et l’isolement, et les dangers qu’offre le monde extérieur.