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(Fin séance 5)

Redéfinition du personnage

Prédominance du théâtre de l’intime. On fait des choses avec les personnages qu’on ne peut pas faire avec le drame ou la tragédie.

Les personnages véritablement secondaires sont rares (Iakov). La plupart des personnages ont leur propre petit drame ; leur intrigue a leur propre importance. Tchekhov se débarrasse du déséquilibre entre le héros et les autres personnages ; pas de héros. Dans la tragédie grecque par exemple, héros autour duquel gravite un cœur. Décentrement ; pas de centre véritable/stable (le centre change tout le temps).

On préconise au Théâtre de Moscou un théâtre collectif, mettre l’accent sur l’ensemble des personnages.

Histoires d’amour qui se répondent. Récurrence des histoires d’amour désespérées : enfermement dans un cycle de fatalité. Peu importe où on est rendu dans la vie, les mêmes épisodes se reproduisent. Les triangles amoureux se multiplient, mais aucun n’aboutit. Il n’y a que l’histoire d’amour la plus banale qui survit (relation déjà convenue, la plus simple, la moins intéressante paradoxalement fait figure d’exception dans la pièce).

Construction en miroir entre deux types de couples qui reproduisent les mêmes types d’aspiration (Tréplev/Trigorine, Nina/Arkadina). Deux écrivains, deux artistes. La pièce est souvent interprétée comme une réflexion sur l’art.

Communication : il y a rarement (voire jamais) de personnages qui se parlent face-à-face. Scènes qui ne permettent pas communications efficaces entre personnages (trop brèves) ; échanges rompus (Nina et Tréplev).

Jamais de véritable connexion entre les personnages, ne font que se croiser.

Les personnages se torturent en analysant leur ennui. Les personnages vivent sous le signe du renoncement. Tous les personnages sont en deuil de leur vie présente, vie qu’ils n’arrivent pas à vivre. Renoncement thématique.

Renonciation à l’action et au dialogue. Passage d’un théâtre qui fait de la parole un projet (les monologues font avancer les choses) à un théâtre qui se fonde sur la parole au présent : parler longuement de choses banales, motifs difficiles à cerner, si bien que parler devient l’action théâtrale principale. Tchekhov annonce le théâtre de l’absurde. On parle, on parle, sans savoir pourquoi (absurde). Ouvre sur de nouvelles formes de représentation théâtrale, particulièrement le théâtre de l’absurde.

Une comédie ?

Rire qui repose sur le détail ridicule ; comédie de caractère. Il n’y a pas une scène qui soit particulièrement triste ou drôle.

Comique involontaire. Chez Tchekhov, le caractère comique est difficile à cerner.

Tchekhov est généralement perçu comme un auteur sérieux, si bien qu’on fait la mise en scène de ses pièces sur un ton très lourd, en faisant abstraction des passages comiques.

Séance 6 : Expressionnisme, symbolisme et modernité

Le théâtre symboliste

Rêves de totalisation et d’épure

Théâtre détourné du réel. Débuts de la photographie et du cinéma, techniques de représentation très fidèles à la réalité. Devant la fidélité de ces nouvelles techniques, le théâtre, dépassé, renonce à la représentation du réel.

Théâtre rituel subit influence de Wagner (1813-1883). Pour Wagner, la représentation est une grande cérémonie qui regroupe un mélange d’œuvres artistiques, représentations complexes.

Fascination pour les possibilités qu’offre le théâtre oriental.

La scène devient le lieu du symbole ; on cherche à abstraire, à peupler la scène de symboles.

Le naturalisme ouvre la voie au symbolisme. C’est parce que le naturalisme explose sur scène en devenant très populaire que les symbolistes peuvent développer leur genre ; le naturalisme éclaire la voie.

Le naturalisme lasse les symbolistes car n’aboutit à rien du point de vue de l’imaginaire ; limite le spectateur, ne lui permet pas de s’ouvrir à un monde (onirique, extérieur) qui n’a rien à voir avec la vie quotidienne.

Adolphe Appia

Formule une définition classique de la mise en scène. Comment l’auteur dramatique peut-il devenir un artiste, qui peut lui en donner les moyens puisqu’il n’y est pas arrivé par lui-même ?

L’auteur ne peut imposer une durée, le spectacle se crée dans un «à-peu-près». Appia y oppose l’écriture musicale, dans laquelle la durée est inscrite dans la lecture même. Le texte qui veut imposer une durée ne peut le faire seul ; il manque un principe fondateur au texte, si bien que le spectacle se crée dans un «à-peu-près» qu’aucune autre forme d’art ne pourrait tolérer.

Appia est fasciné par l’opéra, par le drame wagnerien, qu’il met plusieurs fois en scène. Nœud central : la musique comme cadre de représentation. La musique est la principale source d’émotion ; c’est elle qui appelle le spectateur à imaginer. Pour Appia, la musique est supérieure aux mots et aux gestes.

Toutes les autres parties trouvent leur rythme si elles suivent la musique.

Les symbolistes sont très sensibles à la question de la musique.

Appia se débarrasse de tout objet qui n’est pas en trois dimension. Se débarrasse des toiles de fond. L’espace scénique est un espace abstrait avant tout, représenté en trois dimensions.

Mise en valeur de l’acteur, de son corps, de son geste. L’espace scénique doit être fonctionnel, au service de l’acteur. Le corps de l’acteur peut devenir abstrait, symbolique. Le jeu, le mouvement sur lequel repose l’acteur repose sur un espace à trois dimensions. La formation de l’acteur demande une gymnastique rythmique essentielle pour maîtriser l’espace scénique. Pédagogie de l’acteur. Naissance d’un théâtre corporel ; mise de l’avant du corps, peut d’abord s’exprimer par le geste scénique. Présence physique signifiante. Annonce prédisposition pour le corps.

Utilisation de la lumière permet d’épurer la représentation. Appia constate que la lumière changeante et mobile permet de remplacer certains éléments de décor. La lumière sert aussi à exprimer ce que le personnage vit. Appia déplore qu’on ne parvienne pas à exploiter toutes le possibilité de la lumière, si bien qu’il retire tous les éléments inessentiels du décor en se servant de l’éclairage (certaines régions sont éclairées, d’autres délibérément ombragées). Déplacement de la lumière (avec l’acteur), travail sur l’ombre.

Appia permet un nouveau rapport avec l’image, repose sur une image à trois dimensions. Suppose que le regard du spectateur joue un rôle pour compléter l’organisation de l’espace ; suppose que la construction scénique demande une perspective de la part du metteur en scène, une interprétation de sa part.

Le symbolisme : stylisation extrême

Protestation contre le théâtre naturaliste. Les naturalistes faisaient appel aux romanciers (Émile Zola) ; les symbolistes font appel aux poètes (Paul Fort).

Dans le naturalisme, c’est le milieu (sociologique) qui précède le personnage ; le milieu social est, existe ; c’est le milieu sociologique qui détermine la condition du personnage. Les personnages héritent des tares de leur milieu. Dans le symbolisme, l’homme se suffit à lui-même (homme métaphysique : théâtre de l’âme). Vision poétique de Mallarmé mélangé à la nature corporelle de la représentation théâtrale.

L’action est remplacée par la situation.

Maurice Maeterlinck (1862-1949) : théâtre de l’âme. S’éloigner de la représentation du réel.

Fatalité : assujettissement de l’être à une force plus grande que lui. Le fatalisme est héréditaire, génétique chez les naturalistes. Ce n’est pas la même fatalité qui occupe les symbolistes : sort inévitable (mort) qui attend tout le monde.

3 grands principes du théâtre symboliste

La musique est créatrice d’imagination

Rêve d’un théâtre où la musique complète l’illusion parfaite. Pouvoir de suggestion de la musique que suppose l’opéra wagnerien. Certaines pièces seront rapidement adaptées en opéra (Pelléas et Mélisandre). La musique comble un certain nombre de manques ; s’occupe des émotions que le texte ne met pas de l’avant. Passage naturel du texte symboliste à l’opéra.

Scénographie épurée

La parole crée le décor comme le reste.

Lugné-Poe emploiera des toiles, mais des toiles abstraites (pas de trompe-l’œil visant à simuler l’environnement ; tout sauf représentatives du lieu ; fonction d’évocation). La vision du spectateur doit être entravée par le moins d’éléments possible.

Acteur dans une volonté de désincarnation

Les symbolistes ont une conscience de la tension fondamentale entre la présence physique de l’acteur et l’abstraction symbolique. Les symbolistes veulent se débarrasser de la présence physique de l’acteur au profit de plus d’espace pour l’imaginaire. Pour les symbolistes, il faudrait écarter complètement l’être vivant de la scène. Inadéquation fondamentale :

L’absence de l’homme me semble indispensable.

Toute représentation entrave le pouvoir de l’imagination ; il n’y a que l’imaginaire qui puisse reconstruire la pièce telle que conçue par l’auteur. Fascination pour la danse symbolique. Fascination pour le théâtre d’ombre.

Bilan du symbolisme

Mouvement qui repose sur la suggestion et le dépouillement. Primauté de la parole sur l’action. Les personnages sont dématérialisés (voiles, jeux de lumière, artifices de mise en scène). Décors suggestifs plutôt que réalistes.

Le naturalisme a surtout une postérité scénique (point de vue de la représentation plutôt que de l’écriture).

Épuration scénique menant à des expérimentations artistiques. On défend, d’un côté, la puissance du texte, en le noyant, d’autre part, dans une multitude d’autres formes d’art. Le texte est remplacé par d’autres symboles.

Alfred Jarry : un théâtre sans théâtralité

Alfred Jarry (1873-1907) né à Rennes, étudie à Paris. Rencontre la tradition orale à la source d’Ubu (moquerie faite à l’endroit des professeurs). Mène une vie de débauche, s’identifie lui-même à son personnage d’Ubu.

Le projet esthétique de Jarry passe par la mort du théâtre : inutilité du théâtre au théâtre, inutilité du naturalisme sur les scènes contemporaines.

Jarry radicalise les symbolistes. Préconise un décor abstrait, mais s’écarte des symbolistes pour une ambiance onirique. Pour Jarry, le théâtre n’a aucune valeur artistique. Abstraction très forte : éléments de décors et accessoires déréalisés (emplois symboliques : un figurant pour représenter une foule, figurant jouant le rôle de porte, etc.).

Le bris des conventions de la scène dérange les spectateurs, bien plus que le langage vulgaire d’Ubu. La scène affiche ses conventions et s’en moque.

Jarry : stupidité du trompe-l’œil. Prône un décor qui représente tous les lieux et tous les temps sur une même toile peinte hybride (ni en trompe-l’œil ni totalement abstraite). Par exemple, une longue toile peut représenter sur son long différents lieux successifs de la gauche vers la droite. Suggère tous les lieux en même temps, sans être réaliste. Représenter l’universel et l’intemporel de manière grotesque, voire «horrifiante« (témoignage d’époque) et invraisemblable.

L’action sert surtout chez Jarry à mettre en scène l’ambition des personnages ; l’ambition comme seul moteur des personnages.

Jarry réduit le personnage à sa plus simple expression, le vide de son intériorité.

Pour Jarry, l’acteur fait écran à la représentation du personnage.

La capacité d’évocation dépasse le simple personnage. Le personnage dramatique est plus vivant qu’un personnage réel, car se perpétue à travers les siècles. Le personnage monopolise l’attention dans la conception de Jarry. Ne pense pas à un comédien (sa figure, son corps). Jarry construit ses personnages en visant à l’éternel et à l’intemporel. Il faut d’abord mettre de l’avant l’abstraction du personnage et ensuite trouver une façon d’effacer l’aspect charnel du comédien.

Jarry est fasciné par le spectacle de marionnettes. Le comédien doit revenir vers un mode de l’enfance qui rappelle la marionnette, puis efface la conception que s’en était faite le spectateur. Théâtre de marionnettes d’adultes.

Le masque permet au personnage d’être éternel ; n’est pas lié à la physiologie de l’acteur. Personnage central, unique, qui a plus d’existence que le vivant.

Insuffler la vie dans le personnage à partir de l’imagination du spectateur. Le corps de l’acteur est à la fois réalité et apparence : signifie apparence réelle et signification du personnage. Jarry résout le problème en demandant à l’acteur de jouer comme s’il était une marionnette. Pas une simple marionnette, mais une forme hybride entre les deux (le comédien et la marionnette). L’usage de la marionnette doit renvoyer au plaisir grotesque pur de l’enfant qu’on a perdu, mais s’adresser à l’adulte.

Jarry prenait son art très au sérieux. Il insiste d’ailleurs pour fermer les portes lors de la représentation pour empêcher les retardataires d’entrer.