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L’écriture dramatique contemporaine : Müller, Jelinek, Chaurette

Les reines (1991)

Chaurette : œuvres littéraires, théâtre de la parole, investissement intellectuel du spectateur.

Un théâtre injouable?

Les reines : traduction ratée de Richard III.

Les femmes sont reléguées au plan du discours, les hommes à celui du pouvoir.

Théâtre Shakespearien, influence de Ionesco (références didascaliques anglais, anglais, anglais…). Il y a des moments où les paroles tournent à vide, s’interrompent.

Dans Les reines, Chaurette ne reprend aucune scène de la pièce originale Richard III, mais suit la progression du récit.

Tempête : on reprend souvent l’idée qu’il neige (et non qu’il pleut), qu’il poudroie. L’hiver règne tout au long du récit. Si Chaurette ne réécrit pas les scènes, en garde néanmoins l’idée de départ. Prolonge la tempête. Pas d’annonce d’un monde meilleur; winter of discontent peut-être perpétuel. Pas de réédition des scènes, pas de subversion des scènes (contrairement à ce que fait Ionesco dans Macbett par exemple).

Stratégie de Chaurette : mettre le spectateur face au monde et forcer le contact entre les deux.

Tempête sans fin : «Now is the winter of our discontent / Made glorious summer by this sun of York» (Richard III, acte I, scène I).

Le texte ne donne pas de réponses. Par exemple, élévation des reines à quelques reprises (en particulier à la fin, notable). Rituel qui se donne des apparences solennelles, apparence sérieuse qui va avec l’imaginaire de la reine, mais a un fond dérisoire. La recherche de bonheur ne peut passer que par des aspects matériels (couronne, chevelure, etc.), renforce l’à-côté, le semblant de bonheur, le semblant de réjouissant qui ne peut être véritablement acquis par l’agir, mais seulement par des accessoires.

Chaurette a une liberté de création absolue par rapport à la pièce originale, si bien qu’il invente des personnages (Isabelle Warwick, à moitié déjà existante, et Anne Dexter, personnage 100 % fictif, sœur imaginaire, manchote; rôle cruel et central; porte ironiquement l’impossibilité d’agir jusque dans son nom; bouc-émissaire).

Rapport à la réécriture encore plus éloigné que Müller ou Jelinek. Reprise du lieu, mais le récit n’a rien à voir (ou si peu) avec l’intrigue originale.

Tension entre le tragique et le trivial. Chaurette ridiculise les personnages nobles. Auraient des discours élevés, et pourtant la plupart de leurs paroles passent par des dialogues qu’on retrouverait plutôt chez Michel Tremblay; ne sont pas des paroles importantes.

Le registre du langage des reines devient rapidement très familier.

Chaurette fait une remise en cause des conventions théâtrales, de l’absurde du théâtre shakespearien.

La mise en scène depuis 1960

Mise en scène transformée par les avancées technologiques. Grotowski et Brook préfèrent le versant plus près du corps de l’acteur, rejettent la place de la technologie au théâtre.

Jerzy Grotowski (1933-1999)

Héritier de Stanislavski, en radicalise la démarche. Reconnaît une grande dette à l’égard de Stanislavski sur la recherche du jeu. Fortune théâtrale autour d’une expression, le théâtre pauvre.

Théâtre pauvre : dépouillement massif, refuse tout ce qui est de l’ordre du spectaculaire. Refuse tout esthétisme, s’oppose au mélange entre les arts. Éviter l’éclectisme, le théâtre composé de disciplines.

Pour Grotowski, le théâtre est toujours inférieur technologiquement aux autres genres, comme le cinéma. Éviter les décors, la lumière (qui n’est pas produite sur scène par les comédiens), la machinerie, etc. Théâtre qui peut se produire dans n’importe quel espace. L’avantage du théâtre pauvre, c’est qu’il ne demande pas de machinerie scénique imposante. Échange complice avec le spectateur. La seule chose nécessaire, le propre du théâtre, c’est la relation acteur/spectateur, la communion de perception directe vivante. Posture très essentialiste. Coprésence entre les deux, qui ne peut pas se faire avec une médiation, avec la technologie.

L’acteur est investi de la plus haute mission, doit créer dans le dénuement, faire avec les seuls moyens dont il dispose corporellement (sans ce qu’il met dans sa loge avant le spectacle). Se transformer en utilisant seulement son propre corps, sans autre artifice (y compris le maquillage, les costumes, etc.).

Se débarrasser de tout blocage à la création.

Étudie aussi Meyerhold, formes de théâtre où on se donne absolument.

Procède par soustraction (élimination des blocages) plutôt qu’un enseignement de moyens et de techniques. Allures parfois mystiques. L’acteur doit faire disparaître le geste commun (le geste quotidien) pour s’ouvrir à l’impulsion et à l’improvisation. Le théâtre est un chemin de connaissance, de réalisation. Se révéler à lui-même par la découverte du corps; pulsionnel plutôt que rationnel. Savoir-être plutôt que savoir-faire. Éthique et technique du jeu de l’acteur qui devient mystique. Acteur qui offre son corps au public. Exemple : acteur qui monte sur le bûcher par l’art, sorte de mise en danger du corps de l’acteur.

Grotowski prône un théâtre intime, de proximité. Petites salles (60 personnes). Il y a une infinité de configurations dans la salle, si bien qu’on peut adopter une nouvelle configuration à chaque représentation. Plusieurs configurations possibles, si bien que Grotowski n’emploie pas la configuration classique de face à l’italienne, configurations éclatées plutôt. «Une variante infinie de relations acteur/spectateur est possible.»

Théâtre du corps, théâtre de la relation (coprésence) acteur/spectateur.

Peter Brook (1925)

Très attaché à l’ancienneté (vieux théâtre).

L’objet scénique n’existe que le temps où il est utile/nécessaire à la scène. Une table ou une chaise est sortie dès qu’elle n’est plus utilisée. Impression de rareté. Les spectateurs ne sont jamais plongés dans le noir. Environnement englobant qui place sur un pied d’égalité les comédiens et les spectateurs, éclairage réciproque.

Brook veut représenter le mouvement de l’homme. Toute décision artistique doit servir l’échange entre le spectateur et l’acteur.

C’est la construction du personnage qui intéresse Brook : comment le personnage doit-il s’adresser au spectateur?

Anéantir les barrières, en particulier toutes les barrières culturelles. Brook ne se soucie pas du tout de l’origine des comédiens (exemple : Hamlet avec distribution éclatée, famille irréaliste). Désir de révéler ce que les humains ont en commun.

L’anéantissement des barrières passe aussi par les costumes, qui rappellent la royauté mais sans faire référence à un régime spécifique. Cet anéantissement des barrières vient d’une fascination (assez commune au XXe siècle) pour l’Orient.

Sources d’inspiration très variées.

Il faut toujours recommencer, chercher des nouvelles formes, ne pas se scléroser. Il n’y a pas d’enseignement, de méthode «Peter Brook» qu’on pourrait reprendre et reproduire, il n’y a qu’une recherche formelle et perpétuelle.

Développe une formule (Théâtre = R r a, Répétition, représentation et assistance) avec les éléments fondamentaux du théâtre. La contradiction est une dimension essentielle au théâtre. La répétition est nécessaire au théâtre (maîtrise, pratique); pourtant, la répétition nie ce qui est vivant, la répétition est ce qui menace toujours de faire tomber le théâtre dans la mort avant même qu’il ne soit commencé. Avant que la répétition ne soit trop mécanique, il faut passer par la représentation. Importance de l’acte théâtral comme acte présent. La représentation n’est pas simplement répéter, c’est mettre au présent. Essayer d’amener vers la vie, au présent, ce qu’on a travaillé au moment de la répétition (passé).

Aspect incertain de la réussite d’un spectacle. La représentation ne se suffit pas à elle-même; la représentation a besoin d’une assistance. Double sens du mot assistance : assister à et assister quelqu’un. La relation ne se fait pas toute seule; le public a un rôle à jouer, car peut tuer le spectacle. Doit se donner aux comédiens, pour que les comédiens puissent à leur tour se donner aux comédiens.

C’est grâce à l’assistance que la répétition devient la représentation. Ce qui est présent pour les comédiens devient présent pour le public. C’est ce qui fait que la représentation devient vivante. Souligne l’importance de cette relation.

Liberté absolue du metteur en scène. Refus de sacraliser le texte, pas de respect absolu pour le texte de l’auteur. Porter la main sur un texte pour éviter l’académisme. Si on approche un texte avec un trop grand respect en répétant les formes qu’on a déjà vues, on tombe dans l’académisme (mort du théâtre ou théâtre sclérosé pour Brook).

Pas de grandiloquent; simplicité.

Technologie, médias et mise en scène

La question du spectateur (et du rapport au spectateur) est la grande question dominante au théâtre depuis les années 1960-70.

Deux versants :

Chercher à solliciter différemment l’attention du spectateur. On demande donc au spectateur de participer au sens du spectacle.

Le rôle des projections abstraites dans la pièce d’Ödön von Horváth n’est pas explicité; c’est au spectateur à s’en former une interprétation, à en tirer du sens.

On veut plutôt que les spectateurs retiennent des sensations (au lieu de paroles/discours).

Les dispositifs scéniques rendent l’espace scénique ouvert (ouvert au sens pour le spectateur).

Brook : mélange de plus en plus marqué entre les arts, si bien qu’on n’arrive plus à voir aujourd’hui ce qui est dominant dans la mise en scène. Qu’est-ce qui est le plus dominant dans une pièce, ce qui en ressort le plus? (Son, lumière, présence du corps… la réponse n’est pas claire.) Mélange de plus en plus marqué entre les arts avec l’intégration des technologies. Mélanges entre la danse et le théâtre : la danse s’est théâtralisée, et le théâtre s’est mis à être plus performatif et à inclure des portions de chorégraphie. Pina Bausch: croisement entre les deux disciplines artistiques (théâtre-danse).

Marc Beaupré (1976) : Caligula (remix) (2010)

Pratique du remixage et de l’emprunt (Caligula de Camus).

Dispositif technologique sonore, où la matérialité des mots et de la parole prend le dessus sur certains discours.

Mise en scène : Caligula comme tyran transformé en chef d’orchestre, comme coryphée; c’est un concept. Dénuement spectaculaire pour laisser entendre le texte ou la parole. Besoin de rendre le texte habité en distribuant la parole et en supposant que le spectateur comprendra que la mise en scène incarne le despote (Caligula qui dirige les actions).

Partition sonore et musicale. Langue rythmée. La pièce est redécoupée en segments, segments qui sont repris et entrelacés tout au long du spectacle (enregistrés et rejoués en boucle en direct).

Pas de décors ou de costumes qui rappellent le théâtre traditionnel; création qui vise à stimuler l’attention du spectateur, à le concentrer sur le son. Espace sonore. Dans le cas où les paroles sont dites en même temps de manière incompréhensible, on répétera pour s’assurer que le texte a passé. On joue sur les paramètres de perception du spectateur. Établir une relation particulière (via l’espace sonore) avec le spectateur.

Christian Lapointe (1978) : Sepsis (2011)

Auteur et metteur en scène.

Dispositif scénique imposant. Trois régimes auditifs différents. Une multitude de façons de solliciter l’attention du spectateur (par plusieurs sens).

Théâtre difficile d’accès, difficile à accepter. Théâtre qui brise tout rapport du spectateur avec le comédien. Personnages déjà morts, parlent de choses désagréables.

Théâtre d’interprétation assez distancié. Théâtre des mots et de la parole. Rythme hypnotique de la parole qui permet de s’intéresser à la façon dont le théâtre travaille les perception plus que sur le discours. Jeu sur les perceptions.

Résistance des créateurs à la captation (en particulier dans les années 1980), résistance qui se défait progressivement. La représentation audiovisuelle enlève quelque chose à la représentation théâtrale. C’est aussi ce qui fait le théâtre. Pérennité du spectacle impossible (sauf ceux qui produisent et diffusent des captations audiovisuelles). Plus la technologie est développée + acceptée, plus la pérennité devient possible.

Les textes contemporains sont intimement reliés à leur représentation originale et ne sont généralement pas repris avant plusieurs années.

Un ovni : Romeo Castellucci (1960)

Fonde la Societas Raffaello Sanzio (SRS) en 1981 avec Claudia Castellucci et Chiara Guidi. Plasticiens (ont étudié à l’école des beaux-arts, arts plastiques).

Monstration des corps.

Travail sur le son : voix-off, piste audio, dissociation du corps et de la parole.

Inferno (2008) : plongée dans l’inconnu, expérience sensorielle. Miser sur le ressenti, sur l’expérience scénique concrète. Sortir le spectateur de son réel à lui.

Le spectateur devient une partie de la représentation, participe à la réalisation scénique. La scène déborde sur lui. Son attention est donc directement sollicitée.

Spectacles très puissants si on accepte d’entrer dans l’aventure.