Histoire des concepts : de la Poétique d’Aristote au 19e siècle
Aristote, la Poétique, la tragédie
Remarques introductives
Importance historique de la Poétique
Importance d’Arstote et d’Horace. Horace écrit vers 19 avant J.C. Art poétique d’Horace. Certaines idées d’Horace croisent celles d’Aristote. C’est à Horace que l’on doit l’expression « la poétique comme la peinture » (ut pictura poiesis), propos largement exagéré par la postérité.
Idée : la poésie doit plaire et instruire; elle doit être à la fois utile et agréable; elle doit joindre l’utile à l’agréable (spécifiquement pour la poésie, cf. Horace). Plaire et instruire doit aussi s’appliquer à la peinture. L’art s’inspire de la nature.
La poésie est comme la peinture : pure comparaison ponctuelle, très limitée.
Importance du décorum : de ce qui est en accord avec les bienséances, avec les attentes éthiques du public. C’est une condition de la persuasion.
La Poétique d’Aristote est écrite sous la forme de notes de cours, beaucoup d’éléments incoertifs. Textes lacunaires, limités. Beaucoup d’espaces libres dans la pensée d’Aristote, peut-être références à des textes que nous n’avons pas.
Textes ésotériques et exotériques. Les spécialistes sont obligés de reconstruire à partir de ce qu’Aristote a ou aurait publié.
Aristote part du vivant pour remonter vers le haut, vers le général; c’est un naturaliste.
Aristote regarde un peu la poétique comme un animal : l’art est un animal, et les différents genres sont différentes espèces. Il tente de comprendre comment fonctionne cet animal comme un naturaliste.
Art et mimétique : Platon et Aristote
Réhabilitation de la mimésis (si on considère que Platon avait dévalué/dévalorisé la mimésis, l’imitation, dans le livre X de la République). Contrairement à Platon, Aristote reconnaît les pratiques mimétiques comme importantes.
Aristote part du principe selon lequel si nous imitons, c’est que l’imitation a une fonction. Aristote prend plutôt l’humain comme il est plutôt que comme il devrait être.
L’art comme imitation de la nature.
L’imitation fait par certains arts mimétiques; la mimésis, ce n’est pas une pâle imitation; ce n’est pas le vrai comme tel, mais ce qui est vraisemblable; pas la vérité stricte, mais il y a quelque chose de vrai.
La philosophie doit remonter aux essences, où il n’y a pas de changement.
Aristote considère que les formes sont dans la matière, dans la nature.
Platon : l’imitation des imitations (imitation au 2e degré) perd une forme de vérité; toute imitation tend à l’illusion. Dans l’identification, nous sommes en quelque sorte contaminés, car nous intégrons des valeurs, nous apprenons à ressentir la peur, à apprécier la crainte, tout le contraire de ce que nous devons faire pour nous élever moralement.
La ligne d’argumentation d’Aristote est complètement différente : la mimésis est naturelle, anthropologiquement fondée dans le vivant humain. Les enfants apprennent par imitation, et les adultes aussi. L’imitation est inhérente à la nature humaine. La mimésis est un plaisir d’apprentissage (un plaisir cognitif). C’est ce plaisir cognitif qui explique que nous ressentions du plaisir (paradoxe de l’imitation).
Il n’est point de serpent ni de monstre odieux/ Qui par l’art mimité ne puisse plaire aux yeux
Boileau, Art poétique
La conception de Boileau, même si elle semble de rapprocher de celle d’Aristote, est en fait complètement différente. Transfiguration mimétique.
Aristote : c’est parce que nous apprenons quelque chose que nous tirons du plaisir de l’imitation (et non par quelque transfiguration).
La mimésis n’est pas un redoublement, mais un processus par lequel on saisit le typique dans le particulier. La mimétique, c’est le plaisir de la reconnaissance. L’étonnement n’est pas en soi la source du plaisir, mais ce qui permet la reconnaissance (où se trouve le plaisir véritable).
L’identification peut très bien être compatible avec la distance.
L’activité mimétique artistique sont des mimésis de 2e degré : il y a une totale continuité pour Aristote, mais quand même une différence. L’imitation artistique suppose aussi une mise en image (ou une mise en intrigue dans le cas de la poésie).
Imitation et représentation
Imitation :
- faire comme quelque chose/quelqu’un (avec ce que cela suppose )
- faire de la mimésis réfléchie
Activité mimétique artistique réfléchie de 2e degré : représentation.
2 attitudes :
- Attitude réceptive
- Production
Aristote contre Platon
Pour Platon, la fiction contamine le réel.
Pour Aristote, l’imitation a des racines anthropologiques, une fonction cognitive bien réelle. Imiter, pour Aristote, ce n’est pas copier le réel, ce n’est pas imiter une image du réel, mais plutôt modeler un réel. L’imitation n’imite pas les choses telles qu’elles sont; ce n’est pas une représentation du réel, mais à partir d’un modèle du réel; simulation du réel.
Il y a une séparation nette entre le réel et l’imitation.
Étude de la Poétique : imitation, intrigue, catharsis, la fonction de la tragédie
Approche descriptive et normative de la poésie tragique. Aristote, dans la Poétique, amalgame plusieurs approches : essentialiste (taxinomiste); normative; généalogique; descriptive.
La Poétique d’Aristote se veut à la fois une description et un ouvrage dogmatique pour produire un certain genre d’objet, un certain genre de chose.
Art, technique : il s’agit de réfléchir à ce qui compose cette technique dans le but de guider cette pratique.
Aristote a une approche naturaliste. En faisant cela, il a plusieurs types d’approches, qui se mélangent.
Approche essentialiste : il y a une essence du poème tragique.
Il y a une méthode taxinomiste : division en genres et en espèces. Catégories plus générales (qui regroupent plusieurs individus) et genres plus spécifiques.
2 sortes d’activités humaines : soit la poiésis (fin extérieur à l’action) et la praxis (activités dont la fin est inhérnete à l’action). Ne produit pas des objets utiles, mais des imitations.
Point de vue normatif : conditions idéales de réussite. Ce qui intéresse Aristote, ce sont les fonctions propres d’un genre (ex. Plaisir très précis de la tragédie, qui y parvient par certains moyens). Règles de la composition poétiques.
Approche généalogique : la forme poétique, le genre est engnedré. En contradiction directe avec l’approche essentialiste. Sorte de progression biologique, si bien qu’au final il y aurait eu une version fixe.
Approche descriptive/structurale : Aristote analyse les éléments structuraux essentiels, en particulier de la tragédie, et analyse les problèmes de la tragédie.
Objet de la poétique
Plan détaillé de la Poétique d’Aristote :
- Introduction (chapitres 1 à 5) : imitation et poésie
- Chap. 1 : (i) objet de la poétique; (ii) les arts d’imitation; (III) critères de différentiation de l’imitation : moyens, objets, modes; (iv) analyse des moyens.
- Chap. 2 : analyse des objets
- Chap. 3 : analyse des modes
- Chap. 4 : deux causes naturelles à l’origine de l’art poétique : imitation; disposition pour la mélodie et le rythme
- Chap. 5
- La tragédie (chap. 6-22)
- Chap. 6 : définition et parties constitutives (histoire, caractères, pensée, expression, spectacle et chant).
- Chap. 7-14 et 16-18 : intrigue (muthos : agencement des actes accomplis; façonner une histoire)
- Chap. 7 : étendue et tout de l’histoire
- Chap. 8 : unité de l’action : histoire comme imitation d’une action unie et formant un tout
- Chap. 9 : rôle du poète : dire ce qui peut se produire selon la vraisemblance et la nécessité. Poésie (le général) vs histoire (le particulier). Crainte, pitié, étonnement.
- Chap. 10 : histories simples//complexes (action une et cohérente, où le renversement de fortune a lieu avec péripéties, reconnaissance)
- …
- Chap. 15 : les caractères sont subordonnés à l’action.
Taxonomie des arts mmimétiques (mentionnés par Aristote) :
- Peinture
- Danse
- Musique (lyre, flûre)
- Poésie
- tragédie
- épopée
- comédie
- [dithyrambique?]
- [Sculpture?]
Comment va-t-on classer les différents arts?
Condition de base : être une imitation. La poésie est poétique par l’imitation, et non par le vers. La poésie, ce n’est pas simplement le fait de versifier.
On peut classifier les arts par les moyens (par quoi ils sont artistiques). Ex. rythme, mélodie, langage.
On peut aussi classifier par les objets : actions nobles/ordinaires/basses. « Meilleur que nous » Ex. musique, danse, peinture.
On peut aussi classifier les arts par leurs modes : narratif (le récit, raconté : épopée) ou présentation directe (tragédie, comédie, peinture[, sculpture]).
Définition de la tragédie :
L’imitation d’une action noble, conduite jusqu’à sa fin et ayant une certaine étendue, en un langage relevé d’assaisonnements [auquel s’ajoute le rythme, la mélodie, le chant] dont chaque espèce est utilisée séparément selon les parties de l’œuvre. C’est une imitation faite des personnages en action et non par le moyen le d’une narration, et qui par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre.
C’est l’action qui a priorité, et non les actants.
Les éléments de l’histoire arrivent pour une certaine raison. Les événements n’arrivent pas simplement l’un après l’autre (caractère épisodique), mais l’un à cause de l’autre (caractère épique, tragique).
Parties de la tragédie (i.e. de l’art de composer une tragédie)
Par rapport aux moyens de l’imitation :
- expression (manifestation pensée à travers des mots)
- chant (chœur)
Par rapport aux modes :
- spectacle (« mise en scène », « scénographie »; « effets spéciaux »)
Par rapport aux objets :
- Intrigue (mythos), agencement des actes accomplis
- Caractères (ethè)
- Pensées : faculté de dire les paroles nécessaires et convenables dans le contexte. Élment argumentatif des personnages.
Il y a, dans la tragédie, une sorte de refus du langage ordinaire. Utilisation de la métaphore ou de la synecdoque (transport du langage, expressions métaphoriques qui incluent des images).
La partie prépondérante de la tragédie : l’intrigue (muthos)
Éléments soulignés par Aristote :
- Exigence d’unité : cohérence, forme un tout. Chaque partie doit contribuer à la beauté d’ensemble. Il n’y a pas seulement un ordre, mais aussi un certain enjeu (qui n’est pas le fruit du hasard). Amplitude appropriée : quelque chose comme une esthétique de la réception. Cette amplitude doit être appropriée pour plaire correctement aux sens du spectateur. Règle des trois unités : cette idée ne vient pas d’Aristote. Aristote ne parle pas de lieu, à peine de temps. Ce qui est fondamental, c’est l’unité de l’action.
- Prépondérance de l’action sur les caractères : l’unité n’est pas dicté par les caractères, mais par les actions accomplies. On renverse la priorité habituelle de l’éthique, où la moralité précède les actions. Dans la tragédie, c’est l’action
- La poésie vise le nécessaire et le vraisemblable. Poésie et histoire (chronique historique). Ce que vise le poète, ce n’est pas la vérité comme telle, mais le vraisemblable. Le poète se distingue de l’historien (ce dernier raconte ce qu’il s’est passé, alors que ce n’est pas ce qui intéresse le poète). Le poète vise de passer du général au particulier; ce que les individus feront de manière probable ou nécessaire. Le particulier doit être porteur de vraisemblance. Généralisation. On s’intéresse à présenter des rapports humains qui ont une portée plus générale. Le poète renvoie au possible, à ce qui devrait avoir lieu. Rapport entre le vraisemblable et le persuasif.
- Les parties de l’intrigue; leur façon de concourir à « l’effet propre de la tragédie ».
- Péripétie : retournement d’une action en son contraire. Action, retournement de l’action. Le renversement de fortune, c’est l’évolution du personnage entre le début et la fin de l’histoire.
- Reconnaissance : conduit le personnage de l’ignorance à la connaissance.
- Événement pathétique (pathos)
- Fonction de la tragédie : imiter des événements qui suscitent la crainte et la pitié (chapitres 13 et 14). Satisfaction liée à la crainte et à la pitié dans à travers l’unité d’action.
Pour la « plus belle tragédie », il faut que l’intrigue ait un dénouement unique, que le retournement de fortune se fasse du bonheur vers le malheur, et qu’il soit provoqué non pas par la méchanceté mais par une erreur grave (hamartia) du personnage.
Pitié : situation d’injustice faite à quelqu’un, comme nous, qui ne mérite pas le malheur qui lui arrive. Anticipation craintive de ce qu’il pourrait m’arriver à moi, qui pourrait m’amener à ressentir de la crainte pour moi dans une semblable situation.