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L’école française

Bref rappel sur le diffusionnisme :

La Société des observateurs de l’homme (1799-1804)

La Société des observateurs de l’homme a longtemps été présentée comme « l’aînée de toutes les sociétés d’anthropologie du monde ». Elle a été statuée par Pierre Broca, qui a fondé la Société d’anthropologie de Paris (1859 à nos jours).

Lucien Levy-Bruhl (1857-1939)

Photo de Lucien Levy-Bruhl

Postulats de travail :

C’est un tenant de l’évolutionnisme.

Cela implique une certaine uniformité des « sociétés occidentales », c’est-à-dire notre société. Une division importante du monde est celle entre « eux » et « nous », entre raison et « mentalité primitive ».

Il porte une idéologie fortement ethnocentriste (les occidentaux sont en posture d’observateurs « objectifs »).

Émile Durkheim (1858-1917)

La sociologie est une discipline qui découle de la psychologie des individus, mais qui au final devient une discipline totalement autonome, qu’on étudie comme système de relations et non comme une addition d’individus.

Il démontre l’existence d’une contrainte sociale qui influe les individus et qui démontre que la sociologie n’est pas un simple corollaire de la psychologie.

Il y a un « être collectif », et tout est fondé dans la « nature de la société ». Durkheim porte des préjugés très forts, en posant les Occidentaux comme le modèle de référence.

Durkheim a apporté beaucoup de postulats méthodologiques. Il sépare la psychologie de la sociologie.

Méthodologie analytique :

La cause déterminante d’un fait social doit être cherchée parmi les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de la conscience individuelle.

La société nous prépare une place, et nous ne pouvons quitter cette place.

La question posée par Durkheim : est-ce que la société a une intention?

Ferdinand Tönnies (1855-1936)

Sociologue allemand très influent et contemporain de Durkheim.

La communauté : c’est le « nous » qui prévaut sur le « je », constituant une proximité affective autant que spatiale dse individus

La communauté est distinguée de la société : c’est une forme moderne de sociabilité qui se fonde sur les intérêts personnels. L’intérêt est à la base des rapports sociaux qui sont orientés ers le marché et le contrat.

Durkheim divise également les sociétés par deux types de solidarité :

La solidarité mécanique est plus faible que la solidarité organique (l’ultra-spécialisation dans la solidarité organique force les individus à être plus dépendant les uns des autres, demandant donc plus de solidarité entre les individus). La justice sociale est importante.

Durkheim a également beaucoup travaillé sur la religion. Il part du fait que la religion est d’abord un fait social.

Conséquence : l’essence de la religion est sociale et la religion révèle au chercheur une réalité sociale.

On essaie de voir comment une société interagit avec ses individus. Pour Durkheim, la religion concerne la survie du groupe. On procèdera à des rituels, par exemple une danse collective pour faire tomber la pluie. La religion a quelque chose de magique, appartenant à la sphère privée (elle fonctionne au niveau individuel). Durkheim ramène la religion à une question de survie sociale.

Nous mettons du sens dans tout ce que nous faisons (historiquement, les humains ont toujours fait cela – religieux, athée, peu importe).

Cependant, la religion est dissociée de la magie (remise en cause de Frazer et Tylor). La magie concerne la sphère privée et n’a donc rien à voir avec le sacré. À l’inverse, les pratiques et croyances qui définissent une religion se matérialisent dans une communauté (c’est un phénomène social) et se préoccupent toujours des affaires et du salut de communautés entières.

Conséquences épistémologiques :

C’est la société qui a fourni le canevas sur lequel a travaillé la pensée logique.

Conceptualisation de la religion par Durkheim :

Durkheim et le totémisme

Si Durkheim voit une coupure entre sociétés à solidarité mécanique ou organique, il n’en estime pas moins que toutes les sociétés ont quelque chose en commun, et une science de la société doit donc prendre en considération tous les types existants de sociétés.

Durkheim s’intéresse donc aux « peuples les plus primitifs » de son époque (Frazer).

Durkheim explique le totémisme comme une certaine forme de nationalité (se dire du clan du lapin par exemple serait analogue à se dire « québécois »), en faisant de l’animal (ou le totem) le symbole unificateur correspondant au drapeau national, permettant la ritualisation d’une expression collective qui permet l’attachement des individus au groupe.

L’étude du totémisme comme religion chez les Australiens synthétise alors le fondement de toute religion.

Les critiques d’Arnold Van Gennep (1873-1957)

Pour Van Gennep, les sources utilisées par Durkheim sont insuffisantes au vu des données consultables et le conduisent à surestimer l’attachement des Aborigènes à leurs totems.

Toute expression religieuse n’est pas nécessairement collective.

Les apports de Durkheim pour l’anthropologie

Durkheim a inspiré l’holisme sociologique : l’individu est le produit de la société.

Il réfléchit sur les sociétés modernes et les rapports qui s’y établissent entre l’individu et la société (voir Le suicide).

Il porte attention davantage au processus de symbolisation et aux représentations collectives dans la constitution des faits sociaux : le sacré est une représentation du social.

La société idéale (représentée via les symboles) fait partie de la société réelle (organisée).

Pour Durkheim, le monde de symboles est séparé des comportements du monde réel (par exemple, des individus écologistes peuvent rouler en VUS sans présenter de contradiction, puisqu’idéologie et pratique sont dissociées chez Durkheim)[^population-durkheim].

Marcel Mauss (1872-1950)

Photo de Marcel Mauss

L’explication sociologique est terminée quand on a vu qu’est-ce que les gens croient et pensent, et qui sont les gens qui croient et pensent cela.

Mauss n’a jamais fait d’anthropologie de terrain (et pourtant, il a écrit un ouvrage de méthodologie sur comment faire du terrain…).

Il étudie les sociétés aborigènes et en fait une classification binaire, très axée sur les symboles (et en ligne avec les théories évolutionnistes de l’époque).

Dans son texte Essai sur le don, Mauss étudie la pratique du potlach. Le potlach consiste à pratiquer le don (lors d’occasions spéciales, notamment), ce qui a pour effet d’augmenter le prestige social.

Le don pour Mauss est un fait social total. Le travail de Mauss sur le don est devenu une référence dans le milieu de l’anthropologie, et une référence dans la critique de l’utiitarisme et du libéralisme économique.

Il y a trois obligations :

Refuser un don consiste à refuser le lien social qui l’accompagne, d’où les trois obligations (donner, rendre et recevoir).

Le fait social comporte ses facettes juridique, morale, esthétique et de valeur. C’est un phénomène qui agrège plusieurs dynamiques de natures très différentes.

C’est en étudiant le fait social total qu’on arrivera à expliquer en société.

Les techniques du corps (1934)

Dans cet ouvrage, Mauss considère le corps comme un microcosme de la société.

Il introduit la notion d’habitus, laquelle est au cœur de la théorie bourdieusienne : une manière habituelle de se comporter a une nature éminemment sociale et culturelle, puisqu’il varie de société en société.

On évolue dans un milieu particulier; d’autres personnes évoluent dans des champs sociaux différents, incorporant des valeurs et normes particulières, jusqu’à former une sorte de « sous-culture ». Un individu qui passe d’un champ à l’autre pourra avoir de la difficulté à s’adapter.

L’expression obligatoire des sentiments (1921)

Mauss s’est aussi intéressé aux sentiments. Selon le milieu dans lequel on a grandi, on n’exprimera pas les sentiments de la même manière (ce qui ne veut pas dire que les cultures ont moins de sentiments…).

Essai sur les variations saisonnières chez les Eskimo (1904-1905)

Selon qu’on soit en été ou en hiver, l’organisation sociale sera très différente.

Mauss prône l’importance de l’environnement. Le problème, c’est que Mauss prend des cas très précis pour servir son propos – ce qui est méthodologiquement très discutable (même si ce qu’il dit n’est pas faux a priori).

Tentative d’anthropologie universelle

L’anthropologie française se veut la plus universelle possible.

Robert Hertz (1881-1915)

Photo de Robert Hertz

Contrairement à Mauss et à Durkheim, Hertz fait beaucoup de terrain, en particulier dans des régions reculées d’Europe (dans les montagnes). Hertz ne cherche pas des explications, mais des significations (il ne cherche pas pourquoi, mais comment les choses se passent).

Il analyse le culte comme moteur de conflits, d’ambition, de luttes sournoises devenant parfois sanglantes. Le culte permet de dépasser l’horizon borné de la vie quotidienne » et de « charger avec joie sur leurs épaules ce fardeau pesant de l’idéal » (prémices du fonctionnalisme).

Ce qu’il veut montrer, c’est que le religieux est rempli de politique et de micro-politique.

La Préémience de la main droite : essai sur la polarité religieuse

Il a beaucoup étudié l’usage de la main droite. Dans toutes les sociétés, la main droite est jugée supérieure à la main gauche.

La prépondérance de la main droite est obligatoire, imposée par la contrainte, garantie par des sanctions. Par contre, un véritable interdit pèse sur la main gauche et la paralyse. Il y a donc une institution sociale qu’il faut découvrir.

Interprétations (selon Durkheim et Mauss) : il y a une polarité sociale qui découle de la polarité primitive entre sacré et profane; les deux mains correspondent à cette division.

L’homme étant au centre de la création, c’est lui qui manipule les forces redoutables qui font vivre ou mourir. C’est une nécessité vitale que chacune des deux mains « ignore ce que l’autre fait ».

Les apports de l’école française à la discipline

L’objectivation du fait social est le socle sur lequel Malinowski fera reposer sa méthode d’observation participante.

La notion de société sera une des pierres d’achoppement du structuro-fonctionnalisme britannique.

L’école française établit un lien entre les systèmes de pensée, les catégories et le monde réel.

Le travail de terrain (et l’anthropologie du proche, avec une présence longue sur le terrain – cf. Robert Hertz) deviendra central pour l’anthropologie des années suivantes.

Le concept de représentation collective et son affinement multidisciplinaire

Le concept de représentation collective est élaboré par Durkheim.

Définition de la représentation collective : manière de saisir le réel qui sont communes aux membres d’un groupe social donné, se transmettent de génération en génération, s’imposent aux individus et éveillent chez eux des sentiments de crainte, de respect et d’adoration.

Les représentations collectives sont un élément typique des populations primitives. En l’absence presque totale des représentations individuelles, elles constituent la force coercitive de la société. Elles sont donc omniprésentes.

Les anthropologues n’ont pas utilisé le concept de représentation collective avant les années 1960.

Marc Augé a résumé la résolution du problème : l’idéologie est déjà dans le symbolique.

Notes