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Séance d’introduction

Qu’est-ce que la littérature? Approches des textes littéraires : qu’est-ce qu’un texte littéraire dit de plus? Qu’est-ce que la littérature peut nous enseigner? Comment ces approches permettent-elles de lire un texte autrement?

Le fond est indissociable de la forme.

Un texte de Jonathan Swift propose, devant le problème de pauvreté dans le monde, de simplement « manger les enfants ». Ce texte, si on le prend au pied de la lettre, est évidemment complètement immonde; mais si on le considère dans une perspective ironique – ce qui est son intention – le texte dit autre chose.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un discours plutôt rigide sur les textes produits en société (lorsque ces textes tiennent des rapports pédophiles ou misogynes). Bien sûr, il y a un cadre légal, le droit Catherine Mavrikakis pourrait-elle écrire un texte volontairement misogyne (donc contradictoire) et qui pourrait pourtant être pris au sérieux?

Qu’est-ce que la littérature?

Todorov a écrit un texte intitulé Qu’est-ce que la littéature?. Quelle est la distinction entre une œuvre littéraire (par exemple, un texte de Flaubert) et le plan de cours de Catherine Mavrikakis?

La littérature est d’abord quelque chose d’écrit. La littérature est ensuite sociale : certains textes sont reconnus comme des textes littéraires par les instances légiférantes. Le plan de cours pourrait être regardé comme un ready-made (comme la pissotière de Marcel Duchamp – œuvre d’art d’abord parce que Marcel Duchamp est un artiste1). Un écrivain, un auteur est considéré ainsi par une construction sociale (un cinglé peut s’auto-proclamer « auteur », mais ce titre n’a aucune valeur sur le plan social).

C’est la même chose pour les chefs-d’œuvre, qui ne sont regardés ainsi que par une construction sociale (reconnaissance par les institutions).

à quoi sert la littérature?

Quelle est la fonction de la littérature? à quoi sert-elle?

On pourrait dire qu’elle est un à-côté, un divertissement non nécessaire. Au contraire, on pourrait considérer que la littérature est essentielle à l’avancement du savoir dans la société.

Est-ce qu’il y a quelque chose de structurel dans la littérature elle-même qui la différencie des autres types de textes? Dans la Modernité, on a beaucoup regardé la littérature en ce qu’elle représente le « Beau ». Cependant, c’est loin d’être toujours vrai – plusieurs œuvres, aussi choquantes soient-elles, ne sont pas particulièrement « belles », sans pour autant être moins littéraires.

La littérature travaille le langage. Tout texte, tout discours travaille toujours minimalement le langage – le plan de cours de Catherine Mavrikakis, un échange banal tel que « Allô, ça va? », etc. Il n’y a pas de degré zéro en littérature.

Victor Shklovski, formaliste russe, propose le concept de « défamiliarisation ». Il s’agit de savoir ce qui est différent entre un objet « normal » et un objet « artistique ». On ne « regarde » pas des objets normaux; on s’en sert. La force de l’objet artistique est qu’on s’arrête pour le contempler. Autre concept, la « désautomatisation » : rendre étranger le langage à lui-même (si bien qu’on s’arrête pour l’examiner).

Bref, la littérature est extrêmement fluctuante.

On peut penser qu’il y a différentes couches de signification qu’on peut analyser. Le discours est toujours constitué de différents niveaux de signification – on l’oublie souvent – à la manière d’une « pâte feuilletée » de la langue.

Plan de cours

(Vu le plan de cours)

La construction du Moyen âge

Nous construisons souvent le Moyen âge comme obscur et la Renaissance comme une période de renouveau, comme une période « lumineuse » (métaphore qui préfigure à l’idée dominante du siècle suivant, le « siècle des Lumières »). Beaucoup de choses se passent à la fin du XVe siècle : découverte de l’Amérique (1492), chute de Constantinople (1453), invention de l’imprimerie (1468), etc. On a l’impression que le monde change, est en mouvement.

Les leçons d’anatomie (avec les premières dissections clandestines, puisque les corps morts étaient considérés sacrés) nous en apprendront beaucoup sur le corps humain.

Freud inflige une blessure narcissique à l’être humain.

La révolution copernicienne fait passer d’un géocentrisme à un héliocentrisme; décentrement où la Terre n’est plus au centre de l’univers. La Renaissance est un mouvement historique pendant lequel on assiste à de nombreuses réformes, notamment sur le plan religieux (revenir à l’interprétation de nouvelles interprétations de la Bible). Les Modernes du XVIe siècle retournent aux textes sources au lieu de se fier à des constructions au fil des ans. Martin Luther a donc proposé une nouvelle interprétation de la Bible (premier texte, texte d’origine). L’interprétation est au centre de la Modernité et la diversité des interprétations est préconisée.

La traduction de Platon est une forme d’interprétation (d’herméneutique). C’est un geste fondamental : on ne se contente pas simplement de traduire machinalement, mais de comprendre (geste herméneutique) en s’appropriant les textes et en assumant leur interprétation.

L’Humanisme présente un idéal notamment pédagogique. L’homme courtois n’est pas qu’un savant, mais quelqu’un qui sait vivre en société; quelqu’un qui n’est pas sauvage, mais qui sait bien vivre avec les autres.

Avec Galilée, il faut beaucoup de temps pour accepter que nous ne sommes pas au centre de l’univers (première blessure narcissique de l’humain).

Ce n’est pas Dieu qui détermine notre place dans le monde; on peut exercer notre propre pouvoir de bouger. Des textes utopiques apparaissent au XVIe, montrant un idéal (lieu qui n’existe pas) vers lequel le monde peut tendre, servant donc à orienter l’activité humaine (Rabelais fait explicitement référence à Utopia de Thomas More). La place des femmes chez Rabelais est intéressante (sans être tout à fait révolutionnaire).

Rabelais

Le personnage de Gargantua, à l’appétit insatiable, peut être regardé comme une métaphore pour représenter l’appétit pour la connaissance.

Pratiquement tous not principes d’éducation sont hérités de Montaigne et de Rabelais.

Les personnages fondent une abbaye, créent un lieu utopique dans lequel on pourra apprendre idéalement. Les murs seront proscrits – la plupart des abbayes sont fortement murées – afin de favoriser l’ouverture sur le monde. On passe à un horaire plus près du chaos, avec une liberté totale, aux activités rythmées « au gré des occasions et des circonstances ».

Les hommes comme les femmes seraient libérés de la religion :

il fut établi que les hommes aussi bien que les femmes admis en ces lieux sortiraient quand bon leur semblerait, entièrement libres.

L’espace, bien que circonscrit, serait tout de même ouvert sur le monde, et on pourrait en rentrer et sortir quand bon nous semble.

Les personnages cherchent un « beau lieu dédié au savoir ». Les universités américaines sont d’ailleurs en campagne, et non en ville – ouvert sur la nature. L’ouverture vers la nature doit permettre l’épanouissement des idées, mais aussi des corps.

L’individu bien instruit s’exprime librement. Le « bigot » est le « faux religieux » : quelqu’un qui prétend pratiquer la religion, mais qui n’y croit pas réellement.

L’idée bien répandue « d’esprit sain dans un corps sain » est évoquée au chapitre LIV :

Tous sont sains de corps

On met l’accent sur la beauté, la santé, la bienséance.

Tous de la classe des gentils compagnons.

Compagnons gentils

L’accent est mis par l’inversion (chiasme).

Apprendre, c’est non seulement apprendre les matières, mais apprendre à vivre : habiter l’espace; prendre des habitudes de noblesse; porter des parfums; bien se coiffer; bien s’habiller; etc.

L’accent est aussi mis sur la richesse.

C’est ce qu’on désignera par l’« honnête homme » au siècle suivant (l’homme courtois qui sait bien vivre en société) – vision toutefois élitiste.

L’habillement des femmes est décrit avec insistance, en témoigne l’accumulation :

Les robes étaient selon la saison de toile d’or à frisure d’argent, de satin rouge couvert de canetille d’or, de taffetas blanc, bleu, noir, fauve, de serge de soie, de camelot de soie, de velours, de drap d’argent, de toile d’argent, de fil d’or, de velours ou de satin avec fils d’or apparents, dessinant divers motifs.

La chapitre le plus important (sur lequel on devrait travailler) est le chapitre LVII, dans lequel on décrit le mode d’enseignement. Rabelais critique le mode d’enseignement scolastique et défend l’enseignement de son utopie.

La devise :

Fais ce que voudras.

Une phrase du premier paragraphe étonne, c’est que les règles du jeu sont dictées par un maître du jeu; il y a un maître qui nous montre comment on doit être libre et qui décide de la loi pour nous.

Certes, nous aimons croire que nous sommes dans une éducation libre, non déterminée, mais certains exemples de statistiques (étudiantes en médecine par exemple, dont les parents s’avèrent très souvent être des médecins eux-mêmes) nous indiquent parfois le contraire.

La « nature » et la disposition s’opposent à l’idée de l’éducation (formation nécessaire, non donnée par la nature). Idée : l’éducation empêcherait le mal.

L’idée de communauté (présente dans les travaux de Claude Gauvreau) revient aussi.

Quel est l’idéal de l’éducation? Il faut savoir lire et écrire; chanter; jouer d’instruments de musique; composer en vers et en prose; parler cinq ou six langues (et pas seulement latin). L’art et particulièrement la littérature apparaît ainsi au centre de l’éducation (écriture en vers et en prose). Le corps doit être entraîné (on doit savoir se battre; être habile « à pied comme à cheval »; etc.).

La différence sexuelle est maintenue (on ne fait pas l’éducation sans tenir compte des sexes).

L’amour est basé sur l’amitié, qui est le principe même de la relation; c’est donc un rapport égalitaire.

Et s’ils avaient bien vécu à Thélème en affectueuse amitié, ils cultivaient encore mieux cette vertu dans le mariage; leur amour mutuel était aussi fort à la fin de leurs jours qu’aux premiers temps de leurs noces.

Il y a un idéal courtois qui est important.

En résumé : la liberté permet aux hommes et aux femmes bien nés de développer un (bon) naturel par l’éducation (la nature est à la base de tout). L’école n’est pas fermée à la nature, au contraire : il y a un retour au naturel. On apprend à vivre dans une communauté plutôt que de briller individuellement. On vit dans une richesse et une abondance (visibles dans les descriptions). Rabelais, au XVe, essaie de penser un nouveau projet d’éducation; un projet plus égalitaire entre les hommes et les femmes (même si les femmes feront de la couture et les hommes monteront à cheval) : tous apprendront à lire et à écrire, intégreront la fonction de l’art pour devenir une personne meilleure.

Rabelais critique l’abstinence scolastique (largement basé sur une lecture isolée) en prônant un mode de vie davantage tourné vers la pratique, en communauté (voir des hommes et des femmes, par exemple).

Les murailles (intellectuelles ou architecturales) doivent être réduites le plus possible.

Montaigne

Le texte est écrit plus tard (édition parue vers 1595). Il s’inscrit dans la série d’Essais de Montaigne. Les Essais déclarent dès le départ leur propre imperfection; non qu’il admette des failles, mais que ces textes sont des tentatives, qui pensent, tout en donnant une opinion. Il y a un rapport étroit entre la théorie et la pratique.

Idée présente au XVIe : les exemplum, prix remis à des citoyens exemplaires, des gens qui doivent être pris en exemple. Montaigne ne donne pas forcément toujours son opinion, mais se présente toujours lui-même en exemple : « Si j’étais maître, je ferais… ».

Les Essais deviennent en quelque sorte un bric-à-brac, étant très hétéroclites. Une « lettre » est envoyée à Madame Diane de Foix, Comtesse de Gurson, à qui Montaigne dédie son essai Sur l’éducation des enfants. Montaigne s’adresse à une femme visiblement enceinte. L’enfant, pour être réussi, doit être un garçon :

car vous êtes trop bien née pour commencer autrement que par un garçon (Essais, p. 208)

Il aurait peut-être été plus naturel que Montaigne s’adresse au père de l’enfant; et pourtant, il s’adresse à une femme.

Quelle est l’idée de l’éducation chez Montaigne?

Il fait lui-même une critique :

Pour moi, je vois mieux encore que tout autre que ce ne sont ici, dans ce livre, que des rêvasseries d’un homme qui n’a croqué, dans son enfance, que la croûte des sciences, et n’en a retenu qu’un aperçu général et informe : un peu de chaque chose, et rien d’approfondi, à la française.

Montaigne pourfend la superficie de la connaissance française.

Il critique l’usage de la citation et le rapport aux œuvres et à la tradition :

Je ne suis de connivence avec aucun livre important, sinon Plutarque et Sénèque, où je puise comme faisaient les Danaïdes, remplissant et versant sans cesse. J’en tire quelque chose pour ce que j’écris, et pour moi-même, presque rien.

Avant, on répétait les œuvres comme un perroquet. Montaigne reconnaît qu’il lira les œuvres, mais (« c’est la différence entre eux et moi ») il se permettra d’être moins bon que les auteurs, en acceptant ses défauts, dans un dialogue avec les textes, de déployer ses propres idées. Montaigne souhaite « apprendre à être lui-même », en autonomisant sa pensée sans la nettoyer pour la conformer à celle des auteurs.

Montaigne réfléchit à une manière d’intégrer le savoirdigérer » le savoir).

Montaigne arrive à l’idée (p. 205) qu’il faut se critiquer soi-même :

Blâmer chez les autres les fautes que je commets moi-même ne me semble pas plus contradictoire que de blâmer, comme je le fais souvent, celles des autres chez moi. Il faut les condamner partout, et leur ôter tout refuge possible. Aussi je sais combien il est audacieux de ma part d’essayer toujours d’égaler les morceaux que j’emprunte, d’aller de concert avec eux, avec la téméraire espérance de pouvoir tromper les yeux des juges au point qu’ils ne puissent les discerner.

On doit se méfier de ses professeurs (ce qu’on fait plus ou moins naturellement, puisque c’est la figure d’autorité), mais il faut surtout apprendre à se méfier de soi2. C’est un piège facile que de se fier à ses propres certitudes, à ses propres sensations (qui peuvent être très fortes même si on a tort). On doit tout de même lire les autres, certes, mais pour apprendre à devenir soi-même.

Montaigne est plutôt prétentieux (c’est son paradoxe : entre humilité et prétention), se montrant lui-même beaucoup en exemple.

Théorie des animaux

Pour l’animal, l’existence est plutôt simple, puisqu’elle est « inscrite dans la nature ». Pour l’humain, cette place est plus compliquée, puisqu’elle est définie par l’éducation. L’idée présentée par Montaigne, c’est que la nature humaine est sujette à changement par l’éducation.

Précepteur

Montaigne mentionne la place centrale du « précepteur » dans l’éducation (discussion qui se fait donc d’homme à homme).

Le maître

je voudrais que l’on prenne soin de lui choisir un guide qui eût plutôt la tête bien faite que la tête bien pleine

Le maître montre à l’enfant comment être libre (paradoxe).

L’homme instruit est un homme de lettres.

Socrate et la maïeutique

Montaigne reprend la maïeutique de Socrate, selon laquelle on arrive à faire accoucher les idées par le dialogue et la discussion.

L’autorité de ceux qui enseignent nuit généralement à ceux qui veulent apprendre.

(Cicéron, De natura decorum, I, 5)

La digestion

C’est la grande métaphore du XVIe : on n’apprend pas en se gavant de savoir et en le recrachant – vomissant – mais plutôt en le digérant, morceau par morceau. Le morceau ne doit pas ressortir tel quel, mais justement de transformé, preuve de son assimilation et de son intégration.

Régurgiter la nourriture telle qu’on l’a avalée prouve qu’elle est restée crue sans avoir été transformée : l’estomac n’a pas fait son travail, s’il n’a pas changé l’état et la forme de ce qu’on lui a donné à digérer. (p. 213)

Montaigne réitère l’importance « des autres » pour son propre apprentissage :

Ainsi il transformera et mélangera les éléments empruntés à autrui pour en faire quelque chose qui soit vraiment de lui : son jugement. Et c’est ce jugement-là que tout ne doit viser qu’à former : son éducation, son travail et son apprentissage. (p. 215)

L’objectif est l’atteinte de la sagesse :

Le gain de notre étude, c’est que l’on soit devenu meilleur, et plus sage, grâce à elle. (p. 216)

Pour apprendre, il faut essayer (quitte à faire des erreurs).

Le savoir doit être pratique, et pas seulement livresque :

Savoir par cœur n’est pas savoir : c’est conserver ce que l’on a confié à sa mémoire. Ce que l’on sait véritablement, on en dispose, sans avoir à se référer au modèle, sans tourner les yeux vers son livre. Médiocre connaissance, qu’une connaissance purement livresque !

Il ne faut pas élever l’enfant dans le giron de ses parents.

L’humaniste est beaucoup plus intéressé par le monde, il ne demandera pas simplement « d’où il vient » :

On demandait à Socrate d’où il était ; il ne répondit pas « d’Athènes », mais « du monde ».

L’éducation constitue un mode de vie à part entière :

La marque la plus caractéristique de la sagesse, c’est une bonne humeur permanente : son état est comme celui des choses au-delà de la lune, toujours serein.

Je pense, donc je suis heureux; j’ai un esprit sain dans un corps sain; je vis en apprenant à bien vivre en société. Apprendre est donc une activité tournée vers l’objectif d’être heureux.

L’homme vertueux évite les excès; il tire le bonheur de la vie par l’habitude.

Notes


  1. La pissotière serait peut-être l’idée d’une amie de Marcel Duchamp – donc d’une femme… ↩︎

  2. C’est d’ailleurs l’une des plus grandes qualités de l’étudiant selon Catherine Mavrikakis. ↩︎