(dernière modification : )

Savoir et pratique : XVIIIe et XIXe siècles

Retour sur Rabelais

L’abbaye est un lieu utopique, de beauté et de luxe (« magnifique ») : c’est un lieu exotique, notamment consacré aux divertissements.

L’abbaye consiste en une communauté d’hommes et de femmes, en santé, « riches et libres », d’une élite. Bien se vêtir représente le prolongement de l’intérieur vers l’extérieur (être une personne instruite se traduit aussi par savoir bien se vêtir).

Rabelais croit naturellement que l’humain ira vers le mieux.

Retour sur Montaigne

L’essai pour Montaigne implique de pouvoir se tromper. Montaigne ne souhaite pas peindre un portrait « parfait » de lui-même; l’essai laisse justement place à l’erreur. Les humains sont justement perfectibles (à la différence des animaux) – c’est le principe d’éducation.

Dans le texte, Montaigne s’adresse à une mère, qui devra éduquer son fils. Montaigne croit à la transmission (ce qu’il transmet à la mère, celle-ci le transmettra à son fils, etc.).

Montaigne a beaucoup recours à la figure de précepteur, d’exemplum (se donnant lui-même beaucoup en exemple).

On doit « digérer »; faire digestion pour intégrer l’information; l’étudiant n’est pas un entonnoir (une tête bien faite est bien mieux qu’une tête bien pleine).

Savoir par cœur n’est pas un savoir.

Tout est objet d’éducation, tout peut instruire (ce qu’on apprend dans les livres tout comme ce qu’on voit dans la rue). Il faut apprendre « comme un gentilhomme » : tout peut servir à apprendre.

Montaigne est une personne de mesure, qui ne tombe jamais dans l’excès, qui cultive la modération. Cependant, il faut aussi s’adapter à la situation (par exemple, dans un peuple où se saouler est coutume, il faut apprendre à le faire, une fois de temps en temps, tout en conservant sa mesure).

On est contre l’éloquence comme artifice (on ne dit pas de grandes phrases simplement pour briller). Chez Montaigne, les idées sont plus importantes que la langue : c’est une critique de la rhétorique (convaincre par le discours). On doit débattre d’idées, non simplement sur des questions de forme. On doit apprendre de manière désintéressée, pour les idées et non pour le pouvoir ou le bénéfice (financier par exemple) qu’on pourrait en tirer.

Le grec et le latin sont importants, « mais on les achète trop cher » (c’est-à-dire qu’on les parle sans les comprendre) : il faut apprendre à parler des langues en les pratiquant et en les comprenant.

La sociabilité est importante : il faut savoir se divertir (Montaigne fera un retour à l’art dramatique à la fin de son texte).

Idée importante : manipulation du précepteur, comme un guide, comme tuteur, pour montrer le bon chemin.

Le XVIIIe siècle : les Lumières, l’Aufklärung

Montaigne traite de la critique de soi – c’est le développement de l’esprit critique. Descartes fondera également un discours sur l’esprit critique, en se basant sur le doute. C’est aussi le cas chez Boileau (philosophe français), qui met de l’avant le travail comme moteur de l’esprit critique – l’esprit critique se travaille, se développe par le travail.

Le mouvement des Lumières repose sur la métaphore de sortir de la noirceur, sortir des ténèbres, pour rejoindre les idées dans la clarté. C’est un mouvement à la fois intellectuel, artistique mais aussi politique.

Kant dit qu’il faut « sortir l’homme de sa minorité », « devenir majeur », « oser savoir ». Les despotes et monarques de l’époque s’entourent d’écrivains et de penseurs (il y a sacralisation de la figure intellectuelle) pour s’aider à tendre vers quelque chose de meilleur. Ces despotes tentent d’être des « despotes éclairés ».

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire viennent aisément. (Boileau)

Il y a une réflexion sur le vivre-ensemble, notamment avec le Contrat social de Rousseau. Pour vivre en société, il faut que nous limitions notre propre liberté. Les lois ne sont pas simplement imposés par l’État : elles font partie d’un « contrat social », adopté mutuellement par et pour tout le monde. C’est le grand esprit des lois du XVIIIe siècle : les lois doivent protéger les minorités (et pas seulement les majorités, qui s’en tirent déjà très bien).

La loi existe au sens politique et au sens moral, c’est-à-dire qu’elle doit protéger, contre l’injustice, contre l’infâme et contre le fatalisme.

Candide de Voltaire présente une critique sur la croyance naïve que nous vivons dans le « meilleur des mondes ». Il y a des injustices contre lesquelles nous ne pouvons nous battre (comme un tremblement de terre), mais comme l’humain est perfectible, nous pouvons tendre vers quelque chose qui est mieux (en construisant des maisons plus solides, à défaut de pouvoir empêcher les tremblements de terre).

Un cosmopolitisme apparaît au XVIIIe siècle (des gens arrivent de toutes parts pour partager leurs idées). Un des pays qui a le plus bénéficié des idées des Lumières (un petit pays « tout neuf »), c’est les États-Unis. Dans la constitution, on retrouve beaucoup les idéaux qui éclairent le vivre-ensemble (la constitution serait donc à lire à l’aune des Lumières).

L’Encyclopédie et l’organisation du savoir

Il n’y a pas que les philosophes qui ont changé le monde : ce sont les artistes qui ont développé la perspective. On ordonne les éléments selon le point de vue. Pour Diderot, il faut avoir une perspective : le savoir qui ne fait que s’accumuler ne sert à rien, il n’est pas intelligible (car il n’est pas digéré).

L’Encyclopédie est une structure permettant d’ordonner le savoir.

L’Encyclopédie est un ouvrage écrit à plusieurs, avec un groupe de savants.

L’« encyclopédie » signifie étymologiquement « en » « cercle » et « connaissances ». L’objectif est de rassembler et d’exposer le système général des connaissances et de le transmettre « afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont » (travail de condensation, de rassemblement du temps et des lieux).

L’Encyclopédie utilise un système de renvois – d’où l’importance de sa structure pour ordonner le savoir.

Le « tout » doit renvoyer à la multiplicité (l’ouvrage ne peut être rassemblé par un seul homme); il faut rendre compte de cette multiplicité avec plusieurs autres personnes (L’Encyclopédie ne peut être le travail d’un seul homme).

C’est un « dictionnaire raisonné » qui crée un ordre, un vrai ordre (comme l’ordre alphabétique, tout simplement). C’est aussi une manière de mettre une hiérarchie dans la pensée.

Diderot se méfie des organisations, des institutions et des compagnies qui pourraient mettre la main sur le savoir. Pourquoi? Ceux qui écrivent l’Encyclopédie doivent être des gens libres, dénués d’intérêt (contrairement aux compagnies1, par exemple).

Pour Descartes, il faut apprendre à se méfier de soi-même; il faut aussi se méfier des lieux communs, des idées qui nous viendraient spontanément. Il faut procéder à un éloignement, pour rejoindre une certaine objectivité.

Je distingue deux moyens de cultiver les sciences : l’un d’augmenter la masse des connaissances par des découvertes; et c’est ainsi qu’on mérite le nom d’inventeur : l’autre de rapprocher les découvertes et de les ordonner entre elles, afin que plus d’hommes soient éclairés, et que chacun participe, selon sa portée, à la lumière de son siècle.

Dans cette étude comparative, l’un des critères est la synthèse.

Le gouvernement ne doit pas se mêler de la rédaction de l’Encyclopédie, puisqu’elle y aurait des intérêts.

Si le gouvernement se mêle d’un pareil ouvrage, il ne se fera point. Toute son influence doit se borner à en favoriser l’exécution.

L’Encyclopédie témoigne des savoirs de son époque. Diderot est conscient que l’Encyclopédie s’y limitera et que le savoir progressera, mais il souhaite qu’elle soit pérenne et qu’elle puisse intégrer des éléments futurs, en prévoyant notamment les problèmes auxquels il fera face.

Bouvard et Pécuchet : la théorie de l’expérience

C’est un texte qui n’a pas été fini, c’est le dernier texte de Flaubert (publié à titre posthume en 1881). Deux hommes copistes se rencontrent à Paris. Ils sont déjà le double l’un de l’autre; ils se confondent; c’est un peu comme un couple de jumeaux. Ils quittent leur travail pour s’installer à la campagne pour devenir des hommes savants. En tant que copistes, ils n’ont fait que répéter toute l’heure vie. Il y a une réflexion sur le savoir. Ils croient qu’on peut tout apprendre : il y a une importante différence entre la pratique et la théorie.

Flaubert fait une étonnante critique à l’endroit de la théorie. Le parisianisme était surtout centré sur le savoir purement théorique. Flaubert souhaite faire reconnaître le savoir-faire qui se développe à la campagne, ce savoir que possèdent les petites gens. Il pose la question de la légitimité de l’autodidacte, celui qui apprend sans avoir de maître.

Le chapitre débute avec la phrase suivante :

Quelle joie, le lendemain en se réveillant!

Discours indirect libre, lequel contamine la narration en transmettant l’émotion des personnages.

Au début du texte, les personnages semblent heureux et tout maîtriser (par la vue).

Quand ils entrèrent dans la cour, le fermier, maître Gouy, vociférait contre un garçon et la fermière sur un escabeau, serrait entre ses jambes une dinde qu’elle empâtait avec des gobes de farine.

Des structures de phrases ordinaires sont inversées; des cassures traduisent un effet de « déséquilibre ». En français, la conjonction de coordination « et » relie deux éléments de même nature; or, dans l’extrait, les deux éléments sont plutôt disjoints. L’impression donnée par la phrase en est une de désordre, par une formulation au final plutôt bancale, voire maladroite.

Dans la cuisine, des bottes de chanvre étaient suspendues au plafond. Trois vieux fusils s’échelonnaient sur la haute cheminée. Un dressoir chargé de faïences à fleurs occupait le milieu de la muraille; et les carreaux en verre de bouteille jetaient sur les ustensiles de fer-blanc et de cuivre rouge une lumière blafarde.

Dans cet extrait, il y a accumulation de phrases indépendantes les unes des autres. Les noms sont accompagnés par des détails qui accentuent la focalisation sur chacun des éléments, ce qui fait perdre la vue d’ensemble.

Les deux Parisiens désiraient faire leur inspection, n’ayant vu la propriété qu’une fois, sommairement. Maître Gouy et son épouse les escortèrent, et la kyrielle des plaintes commença.

Critique des « Parisiens ». Passage du coq à l’âne : « et la kyrielle des plaintes commença ». Accumulation pour mettre l’accent sur la légèreté avec laquelle Bouvard et Pécuchet ont considéré l’achat de la propriété (« n’ayant vu la propriété qu’une fois, sommairement »).

Passage de l’imparfait (passage long) au passé simple (séquence rapide d’événements).

Cependant, les bourgeois de Chavignolles désiraient les connaître – on venait les observer par la claire-voie. Ils en bouchèrent les ouvertures avec des planches. La population fut contrariée.

On se moque des bourgeois, par l’utilisation de mots du registre scientifique (« connaître », « observer »). Les deux hommes sont observés « par la claire-voie », un peu comme s’ils étaient des animaux au zoo.

Notes


  1. Une compagnie (dont le terme peut suggérer le « compagnonnage »), vient du fait qu’à l’origine, les membres mangeaient leur pain ensemble (la réalité a bien changé depuis). ↩︎