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Retour sur les deux cours précédents

La comtesse de Ségur

Au XIXe siècle, le châtiment corporel ne disparaît pas de l’éducation. C’était même encore le cas dans les années 1960 au Québec.

Le texte de la comtesse de Ségur est un modèle d’éducation pour les jeunes filles fondé sur l’imitation – l’imitation les gens exemplaires (comme le Christ). L’éducation est fondée sur les valeurs chrétiennes (l’humilité, le don, la générosité, etc.). On apprend aussi à se confesser (admettre ses torts). Mais, par-dessus tout, et comme c’est une éducation destinée aux jeunes filles, on apprend à devenir mère.

La question la plus importante est peut-être : comment les lecteurs sont-ils éduqués? Chaque chapitre comporte ses leçons, leçons qu’on apprend en même temps que les jeunes filles. Les lecteurs sont à la fois sommés et éduqués. Comme lecteur, on apprend en même temps à devenir un peu pervers – c’est le contenu un peu pervers du texte : on finit par aimer (intérieurement, secrètement) la violence infligée aux enfants.

C’est donc une sorte de « double contrat », de double facette.

Hoffmann

Le texte d’Hoffann est antérieur à celui de la comtesse de Ségur (mais toujours au XIXe siècle). On fait l’apprentissage par la peur, par la figure du Croquemitaine.

Sophie Ménard procédait pra une approche ethnocritique du texte, en essayant de retrouver une culture européenne du croquemitaine. Le texte s’approprie la figure du croquemitaine, sans le mentionner explicitement à chaque fois (en mettant en scène des éléments qui l’évoquent, plus ou moins indirectement).

Sophie Ménard proposait d’examiner les manifestations d’« inquiétante étrangeté » (notion freudienne), où le familier fait angoisser.

Le conte est à la fois réconfortant (pour endormir les enfants) et épeurant (éducation par la peur – « le croquemitaine va venir te chercher si tu ne t’endors pas! »).

Même si la peur est moins présente dans l’éducation aujourd’hui, elle est toutefois encore présente (angoisses des étudiants vis-à-vis de leurs résultats par exemple).

La peur finit par prendre une plus grande place

Exemples de croquemitainisation du texte (qui participent à l’effet de peur) :

Conclusion pour le cours : l’éducation passe par la peur; c’est une éducation dans laquelle on doit apprendre par la peur qu’il y a un certain danger; et le texte pose la question : quel est notre plaisir dans le texte? Est-ce que notre plaisir passe par la peur (plus que par l’éducation)? Est-ce que nous ne devrions pas justement avoir moins peur (puisque, comme Nathanaël, si nous ne maîtrisons pas nos peurs, nous ne serons pas bien éduqués et nous ne nous comporterons pas bien)?

Est-ce qu’on ne prend pas plaisir à avoir peur, et que l’éducation devient une facette secondaire (ce qui n’est même pas nécessairement l’intention de l’auteur – on peut penser qu’Hoffmann ne souhaitait pas traiter d’éducation).

Ionesco – La leçon

La leçon a été jouée pour la première fois en 1951.

Ionesco était un écrivain français d’origine roumaine.

Ionesco a fait partie du Collège de ‘Pataphysique1 et de l’Oulipo (courant de littérature expérimentale dont faisaient partie Raymond Quenot et George Perec).

Camus a écrit le Mythe de Sisyphe, personnage qui remonte inlassablement une pierre en haut d’une montagne tout en étant satisfait de son effort, en dépit de la répétition de son manège.

Beckett, Adamov et Ionesco (trois auteurs dont le français n’est pas la langue maternelle) forment les grands auteurs du « théâtre de l’absurde ».

Les personnages de l’absurde sont des personnages sans profondeur, sans intériorité. Le professeur est une caricature, de même que l’étudiante. Ce sont des personnages de langage.

Ionesco a écrit La leçon après avoir lu les leçons d’arithmétique de sa fille, qu’il jugeait stupides et inadéquate pour éduquer.

La leçon comporte des traces de nazisme (le professeur peut tuer 40 jeunes filles en une journée et être excusé – la bonne se range de son côté en lui attachant le symbole de croix).

Ionesco pose un doute de la validité de l’enseignement : l’enseignement pourrait aussi nous enseigner à devenir nazis, nous amener à tuer des gens.

Qu’est-ce que « la leçon »? La jeune fille n’apprend rien. Le professeur n’apprend pas non plus – après la quarantième « leçon », malgré le sermonnement de la bonne, il n’apprend pas de ses erreurs.

Le texte pose le problème de la figure totalitariste du professeur, dont le pouvoir peut être abusif.

On revient à Montaigne : il faut avoir un esprit critique vis-à-vis de la figure d’autorité.

La leçon est un « faux traité » didactique : ce n’est pas une vraie leçon qui est représentée, mais on y apprend quelque chose, comme lecteur ou spectateur. Ionesco cherche à redonner la fonction politique du théâtre.

Le théâtre a un impact peut-être plus fort qu’un roman.

La violence est présentée, performée devant nous. Il y a violence faite aux corps.

On apprend aussi par le rire, la pièce est comique. On est néanmoins choqué, indigné, dégoûté : on apprend par l’affect, des sensations que le théâtre nous procure, plus que le roman (ou d’autres formes didactiques).

Questions :

Le professeur

Comment le professeur opère-t-il?

Le professeur témoigne d’une humilité au départ (qui est fausse).

Mode des verbes : le professeur parle souvent à l’impératif, soit au pluriel (« continuons »), soit au singulier (« continuez »), mais le premier n’est véritablement qu’un euphémisme pour le singulier.

La ponctuation comporte beaucoup de points d’exclamation, qui rendent compte de l’ordre.

Il y a également plusieurs passages avec des points de suspension. Ces points de suspension ont une fonction performative : on attend de voir si l’action suivra la parole. Ils traduisent également un non-dit, un sous-entendu (« Taisez-vous ou… »). Autant de points de suspension traduisent beaucoup de hauts et de bas, qui rejoignent l’affect. On apprend justement beaucoup avec l’affect. L’affect est donc à la fois utile et dangereux.

Le professeur peut tout dire (son discours est truffé de fautes de logique), parce qu’il dispose de cet espace de parole. Il a le droit de déblatérer tout et n’importe quoi.

Le professeur fait répéter à vide le mot « couteau ». Critique du langage : à force de répéter le mot, on finit par croire que le couteau est vrai. Que le couteau soit vrai ou non, la critique d’Ionesco est qu’on peut tuer avec les mots. Les mots, surtout si répétés, ont une force performative (par exemple : le « herr hitler »).

La fin du meurtre de l’élève ressemble plutôt à une fin de jouissance, voire à un viol, et à une scène de satisfaction sexuelle du professeur. Cette scène est une sorte de scène latente du viol que prépare tout le texte, symbole de la jouissance de la violence.

L’élève

En quoi l’élève participe-t-elle au totalitarisme? Elle est docile, obéissante. Sa docilité prête notamment à confusion sexuelle : « je suis à votre disposition » (ce qui traduit une docilité totale).

La leçon est souvent mécanique : répétition à la manière des automates.

L’étudiante apprend aussi à parfois dire une mauvaise réponse (absurde) lorsque cela plaira au professeur.

L’élève est incapable de dire ce qui ne va pas. Elle ne fait que répéter « J’ai mal aux dents » comme une automate, comme incapable d’exprimer autre chose.

À la fin, la fille n’est plus qu’un « corps mort ». Les filles n’ont pas d’individualité; elles font partie d’une série (meurtre en série, série d’étudiants qui passent et meurent à la leçon du professeur).

Le langage de l’élève est un langage de réponse. Elle ne pose à peu près jamais de questions. Elle est dans l’affect (son discours comporte beaucoup de points de suspension). Elle est incapable d’exprimer ce qu’elle ressent; tout passe par un « langage-écran » (« j’ai mal aux dents »).

La bonne

Le texte est essentiellement une relation dialectique entre maître et esclave. La bonne est l’extériorité de cette relation. Elle tente parfois d’arrêter le professeur, en le prévenant par exemple; mais elle se fera complice en aidant le professeur en enterrant l’élève.

La relation maître-esclave n’existe qu’avec le tiers complice qu’est la bonne, qui fait preuve de complicité sociale et politique.

Ionesco re-pense ainsi Hegel (qui théorise la relation maître-esclave) en remodelant la justice en fonction de l’aide de la bonne. Le professeur, assez idiot, ne pourrait continuer son manège sans l’aide et la collaboration de la bonne Marie.

Est-ce que le social est complice d’une mauvaise éducation?

Notes


  1. Le titre semble comporter l’apostrophe avant « pataphysique » (voir l’article de Wikipédia). ↩︎