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Retour sur Agota Kristof

L’opposition père-mère est très marquée (odeur de la craie contre l’odeur de la cuisine). Le père était autrefois la seule figure à laquelle on pouvait s’identifier pour devenir une intellectuelle; on ne pouvait prendre la mère (une femme) comme modèle.

La figure d’intellectuelle féminine (voire féministe) s’est d’abord faite sous l’égide du père, de l’homme.

Le maître, seule figure duquel on pouvait apprendre, était nécessairement supérieur; aujourd’hui, on peut également apprendre d’une personne de statut inférieur (idée très moderne).

Plus Kristof apprend le français, plus elle perd sa langue maternelle, plus elle devient « analphabète » dans sa propre langue.

Nous concevons traditionnellement le savoir comme une accumulation; or, on peut penser que, dans certains cas, certains savoirs «défont» d’autres savoirs, d’où l’importance (cf. Diderot) d'organiser le savoir afin de ne pas le perdre.

Kristof écrit par courtes phrases, elle écrit des poèmes à l’usine; son écriture est presque enfantine. Ses personnages du Grand cahier sont d’ailleurs des enfants.

Retour sur la conférence d’Andrea Oberhuber

C’est à a Belle époque, au début du XXe siècle, que les femmes entrent à l’université. Il y a une grande résistance vis-à-vis de l’entrée des femmes à l’université, si bien qu’on se moque encore d’elles, un peu à la manière des cervelines de Molière. Les femmes prennent des figures plus masculine ou de « vieilles filles ».

Il y a quelque chose qui défait peut-être l’ordre sexuel établi depuis toujours. Le texte de la Comtesse de Ségur est antérieur à la Belle époque; il est plutôt conservateur, prônant une éducation de jeune fille traditionnelle (où elles ne font pas des études). C’est dire que ce n’est pas de l’avant-garde, et qu’on retrouve des oppositions à l’accès des femmes à l’éducation supérieure dans la littérature.

France Théorêt – Bloody Mary (1977)

Le texte s’inscrit dans une époque de pleine révolution sexuelle, à une époque où on remet en question les idées dominantes et l’accès à l’éducation.

Boody Mary n’est pas un essai, mais il défend une nouvelle façon de comprendre la place des femmes en société.

Le titre suggère une certaine violence en mettant de l’anglais dans un texte en français. Il traduit un caractère d'oralité (on intègre plus souvent l’anglais à l’oral).

Bloody Mary vient d’une légende populaire. C’est aussi une référence à Mary Tudor, une femme sanguinaire qui s’est battue contre les protestants. C’est l’inscription dans une filiation de femmes fortes.

Le texte est dédié à Nicole Brossard, écrivaine et poète féministe des années 1970. Elle est une figure importante pour l’émancipation des femmes.

Le titre implique donc une double lignée, celle de femmes sanguinaires de pouvoir et celle de femmes féministes.

Le texte comporte une citation en exergue, en anglais, extrait d’un essai populaire et féministe Our bodies, ourselves. Cet extrait traduit une haine pour la femme de son propre corps, avec le refoulement que cela implique chez les femmes.

Le sang peut renvoyer à celui des règles, mais aussi à celui du « couteau » utilisé pour tuer quelqu’un.

Le texte essaie de sortir de la bienséance du langage, en parlant de choses vulgaires, du corps des femmes (en anglais!), de manière rebelle et contestataire.

Idée : « déparler » la langue. On ne doit pas se contenter de parler la même langue conformiste (comme les petites filles modèles), puisque la voix minoritaire ne se ferait pas entendre au sein de la masse homogène.

Le corps du texte est une attaque à la langue française. Plusieurs phrases ne respectent pas les règles de ponctuation ou la syntaxe. Il y a des variations d’échelle typographique à même le corps du texte. Il y a également une diversité des genres (tantôt de la prose, tantôt de la poésie).

La figure de femme « épinglée », « sans visage », revient à plusieurs reprises. C’est aussi en écho à la pin-up, dont l’image est marchandée et placardée sur les murs.

Au corps de pin-up, lisse et glacé, s’oppose celui d’une femme trouée, traversée par le sang et les excréments.

D’un point de vue littéraire, il est intéressant de remarquer l'adéquation entre la forme du corps (du texte) et le fond. C’est toute l’idée du corps organique.

Tout ce qui a caractère d'abjecte est représenté sans réserve. C’est une poétique de la forme et de l'informe.

Rapport entre le « je » et le « nous » : le texte est un manifeste, une prise de position vers un combat collectif.

Passage Que je déparle : monologue pendant lequel la narratrice s’adresse à une femme, avec une double injonction : celle d’être naturelle et de se comporter, s’habiller d’une certaine manière en même temps.

Comment trouver une voix pour faire parler la littérature?
Quelle voix peut prendre le ou la dominé·e?

Le texte porte sur la langue, sur une certaine forme de « bonne éducation », en n’acceptant pas l’éducation qu’on veut nous donner, et qui n’accepte pas la place que l’éducation nous donne. Le système éducatif met en place un monde dans lequel notre place est préfabriquée; on ne peut que répondre d’une manière conventionnelle, polie, pré-formatée. Dans la dialectique entre celui qui domine et celui qui est dominé, entre le maître et l’esclave, entre le prof et l’esclave, entre l’homme et la femme – la place de celui ou celle qui prend la parole est complètement bloquée d’avance par celui ou celle qui pose la question.

Il faut donc inventer une nouvelle poétique langagière pour réagir à ces dynamiques figées.

Léonore Brassard et King Kong Théorie de Virginie Despentes

Virginie Despentes a d’abord été connue pour son premier livre Baise-moi. Sa littérature se situe surtout en marge de l’institution, dans un style plutôt punk, avec une « parole de rue ».

Baise-moi a été adapté au cinéma en 2000 et reçu avec vive opposition en raison de sa violence. Despentes l’a co-réalisé avec une réalisatrice de films porno. Il y a un style « film série B », dans une esthétique du mauvais goût tout en trempant dans le genre porno (avec des scènes sexuelles non simulées).

Le film montre des femmes qui se relèvent du viol.

King Kong Theorie est un essai manifeste, qui prend position sur le féminisme (contemporain, mais aussi moins contemporain). La narratrice parle sans réserve au « je », un « je » frontal qui chèche à persuader, sinon à confronter.

Il y a une forme de « déséducation », une éducation de rue. Le langage est celui de la rue. Le texte est aussi un manifeste pour prendre la parole sur la place publique, pour la manifestation.

L’éducation de la rue, c’est aussi une éducation dans laquelle on prend des risques (Despentes s’est fait violer; et pourtant, elle a continué prendre l’autobus les jours suivants).

King Kong Théorie est en écho direct avec la culture américaine (et avec le film de série B de Peter Jackson). Le livre est en rapport avec la langue anglaise et la culture américaine, notamment en raison de sa nature « pop », accessible, voire hollywoodienne.

Le titre est anglais, non seulement par son emprunt aux mots King Kong, mais par sa structure (en français, on dirait plutôt Théorie King Kong).

Bad Lieutenante

Le titre du premier chapitre est en référence à un film américain qui met en scène un looser social. Le personnage, malgré son statut de policier, est plutôt moche, ce que Despentes s’approprie pour traiter des femmes (qui ont le droit d’être moches).

Le chapitre est constitué de plusieurs listes.

Le ton est très revendicateur. La narration, au « je », se fait au « ici et maintenant ».

Despentes enjoint les femmes à sortir du symbole traditionnel et à prendre la parole dans la rue; « je » ici et maintenant contre « elle » qui n’existe pas et qu’on ne retrouve nulle part.

Les énumérations sont de deux types : l’une enferme la femme dans une définition, l’autre la pousse vers l’extérieur.

L’enseignement doit être fait dans la rue, hors de l'institution et hors des symboles déjà convenus (quitte à en créer d’autres?).