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Thelma, Louise et moi

Le texte de Delvaux est très accessible en portant sur une œuvre (cinématographique) grand public.

En détournant le titre et en se l’appropriant, voire en s’y faisant entrer (l’auteure s’y insère), il y a un certaine forme de détournement du plagiat (Delvaux ne le fait pas insidieusement, et elle le fait pour rendre hommage au film).

C’est un livre en dialogue avec le film.

Question de Delvaux: à qui appartient l’imaginaire de Thelma et Louise? À tout le monde, «parce que tout le monde l’a vu».

L’acte d’appropriation est plutôt culoté. Cependant, Delvaux s’approprie la voix de ceux qui ont déjà une voix mondialement connue (et non la voix de minorités qui n’ont pas de voix sur la place publique): celle de Hollywood.

C’est un traité d’éducation pour les hommes (qui apprennent des choses qu’ils ne comprennent pas sur la psyché des femmes). C’est aussi un traité d’éducation pour les femmes: comment arriver à l'indépendance. C’est cependant ambigu: la libération des femmes dans le film se solde par leur mort au fond du Grand Canyon; ce n’est donc pas une démonstration de ce qu’il faut nécessairement faire (peut-être devrait-on rester chez soi pour éviter de mourir sur la route).

La protagoniste du livre (Delvaux) apprend en regardant le film à répétition, en le reprenant, en se le réappropriant, en l’étudiant au ralenti, en repassant des passages en boucle, avec fascination. Elle se laisse emporter par l'affect (elle pleure en le regardant). L'affect, par opposition à la distance objective en sciences, est utilisé comme méthode par Delvaux.

L’affect fait donc partie de l’apprentissage.

L’amitié entre les femmes

Autre apprentissage: la nécessité de se faire des amitiés de femmes (réalisatrices; sœurs narratrices). Amitié, sororité: les femmes se font complices entre elles pour paraître inoffensives, gentilles.

L’idée de sororité émerge dans les années 1970 comme complément à l’idée de fraternité dans la devise française Liberté, égalité, fraternité.

C’est aussi une opposition au boys club, figure de la fraternité (exclusivement masculine) par excellence.

L’idée de sororité suppose une certaine égalité, une similitude, une proximité.

Martine Delvaux place Thelma et Louise en «grandes sœurs» (proches, mais plus grandes qu’elles).

La foi

Il y a une foi dans la culture populaire. On apprend collectivement à travers des œuvres plus accessibles (il est plus facile d’aller au cinéma que de lire un livre). Le livre comporte énormément de références à la culture populaire.

La forme adoptée par Delvaux relève en plusieurs points de la didactique, par la répétition et le recours à de nombreux fragments (comme des scènes), qui permettent d’aborder rapidement et légèrement des thèmes et de passer à d’autres, sans ordre nécessaire et sans s’éterniser sur un sujet.

Empowerment

Thelma et Louise ont-elles une agentivité sur leur vie? Elles essayent, du moins. Elles tentent de contrôler leur vie, leur destin. Elles le font en prenant la route (et en finissant par se suicider).

Les femmes n’ont de pouvoir que lorsqu’elles sont en cavale.

La voiture est un symbole de l’imaginaire de la liberté (surtout aux États-Unis dans les années 1970-1980). L’imaginaire de la route est très présent: c’est un lieu hétérotopique, dans lequel on peut devenir autre. Thelma et Louise s’évadent par la route, au point de se jeter dans le Grand Canyon.

Hétérotopies (Foucault)

Lieux autres, dans lesquels on peut être «autre», une autre personne.

Où apprendre?

Pour Delvaux, on apprend en regardant des films.

Louise: Où as-tu appris à tirer comme ça?

Thelma: en regardant la télé. Et toi?

Louise: Au Texas!

(p. 190)

Le savoir s’apprend par les films, mais aussi à travers la télévision (Thelma).

Louise montre qu’on apprend aussi par l'expérience.

Il faut apprendre la méfiance quand on est une femme. La naïveté doit être perdue – chez les femmes, mais chez tout le monde aussi. C’est l’idée de développer un sens critique; ne pas se fier aux premières apparences (morale qu’on retrouve dans nombre de contes).

Rapports entre hommes et femmes

Ce n’est pas un texte sur la réconciliation. Il n’y a qu’un homme dans le film qui se fait complice des femmes, qui se fait complice d’elles, mais tous les autres s’y opposent.

Tous les hommes, à l’exception de l’inspecteur, sont stupides.

Il ne semble y avoir que deux issues pour les femmes: se soumettre (obéir) ou se battre (dégainer le pistolet).

À partir d’un moment, les femmes rendent coup pour coup.

Les femmes sont de plus en plus représentées en figures de guerrières.

Le film est défaitiste (les femmes ne peuvent pas gagner, elles se battent contre une réalité sociale contre lequel elles ont perdu d’avance).

Le suicide est sublimé à la fin du film (comme spectaculaire, symbole de choix et de liberté, dans le Grand Canyon…).

Le secret

Louise a un secret. On ne sait pas de quoi il s’agit (un viol, probablement); il y a une communauté du secret.

Je lui refuse la littérature.

Le secret est partiellement brisé (par la mention de son existence), mais on ne le connaît pas vraiment (on peut se l’imaginer, mais il n’est jamais connu). C’est une manière de dire et de ne pas dire.

Donner de la place aux violeurs serait de prendre le risque de livrer une possible consécration, une possible fascination pour le malfaiteur. Delvaux prend le parti de ne pas lui donner de visibilité, pas le droit de représentation; elle décide plutôt de mettre en scène et de représenter Thelma et louise.

Dans l’enseignement, doit-on toujours représenter? Apprend-on davantage avec la représentation (de scènes horribles, par exemple) ou par le discours de la littérature et du cinéma? Qu’est-ce qu’on doit représenter? Quelle complicité avec le sujet? Peut-on aussi montrer pour dénoncer? Une position esthétique peut être de montrer une fois pour que ça ne se reproduise plus

Delvaux a pris le parti de ne pas représenter pour éviter la consécration.

Quelle place pour la représentation dans l’éducation?

L'ekphrasis

(Description détaillée et vivante d’une image.)

Delvaux procède d’énormément d'ekphrasis en décrivant tous les passages du film.

Elle raconte, raconte et raconte.

Cependant, derrière ces descriptions abondantes, il se dissimule une douleur indicible, incommunicable. Derrière les images, il y a un rand silence. La douleur des femmes est incommunicable. Le texte est extrêmement bavard, se répète, reprend les passages.

Pour se taire, il faut parfois dire beaucoup (d’où l’intrêt pour la littérature). Delvaux ne dit pas la douleur des femmes; elle tourne autour, à longueur de livre et de répétition.

Le texte de Delvaux est plus nuancé que le film hollywoodien, avec des actrices finalement stéréotypées (montrées comme sexy vers la fin du film).

Comment inventer de nouvelles formes pédagogiques? De nouvelles formes esthétiques? De nouvelles façons de représenter?

Conférence de Martine Delvaux

Le fait de ne pas avoir appris le cinéma permet à Delvaux d’en parler librement, toujours avec un certain sentiment d’étrangeté, et à la manière d’un public lambda.

Recours à l’affect: les larmes sont symptomatiques d’un phénomène politique, et il faut le retrouver. Il faut laisser aller les larmes, mais quel projet politique en est la cause? Pourquoi est-ce qu’on pleure, seulement à certains moments?

Les larmes ne sont pas loin de la colère.

Mieux enseigner: aimer ses élèves.

Quel est le rôle de l’auteur(trice) aujourd’hui?

Le corpus cinématographique nous fabrique (culturellement, identitairement).

Écrire en pensant à la communauté (moi, puis Thelma et Louise, puis la communauté de femmes plus élargie).