À la recherche de la Métaphysique
Remarques biographiques d’Aristote
- 384 : Naissance à Stagire.
- 367-348 : 1er séjour à Athènes; rencontre Platon (367).
- 348 : mort de Platon; séjour à Assos et Mytilène.
- 343-340 : tuteur d’Alexandre (il est en fait peu probable qu’Aristote ait initié Alexandre le Grand à la philosophie).
- 335 : retour à Athènes et fondation du Lycée.
- 322 : mort à Chalcis.
Aristote n’est pas un citoyen d’Athènes (il n’y est pas né et n’y est pas mort). Il y est surnommé « le liseur », ce qui préfigure à sa posture d’intellectuel.
Il est d’un aspect physique plutôt faible (maigre, tardif) – ce n’est pas l’homme athlétique comme l’était Platon (grand, large d’épaules, etc.)
On retrouve au Lycée une méthode de classification des savoirs, semblable à celle utilisée par Aristote. Les travaux de recension d’Aristote font de lui le premier historien de la philosophie.
Survol du corpus aristotelicum
On distingue traditionnellement deux sortes d’écrits :
- Les ouvrages exotériques destinés à la publication (souvent des dialogues), aujourd’hui perdus;
- les ouvrages acrobatiques, composés pour un auditoire – Arsitote qu’on connaît, tel qu’il a été publié par Andronicos de Rodes au 1er siècle de notre ère.
Organon ou instrument préalable à la philosophie
- Les *Catégories* : distinction des éléments du discours suivant qu’ils désignent une substance (ouais) ou un accident.
- Le traité *De l’interprétation* : le jugement, la proposition et ses composantes (de la phrase).
- Les *Analytiques* : les Premières Analogies traitent du syllogisme en général; les Secondes Analogies de la démonstration (syllogisme scientifique, l’outil par excellence des scientifiques, qui démontre la raison pour laquelle un attribut peut être prédiqué pour tel ou tel sujet).
- Les *Topiques* : méthode d’argumentation très générale (la « dialectique ») dont le dernier livre correspond aux Réfutations sophistiques. Aristote postule l’interdiction de transposer des savoirs entre les différentes sciences (illégitime, selon lui, puisque les savoirs sont différents). La dialectique n’étant pas une science, elle peut être utilisée sans problème.
Philosophie théorétique : philosophie seconde ou naturelle
La philosophie théorétique, c’est simplement la philosophie qui aspire à la connaissance pour la connaissance; le savoir pour le plaisir de savoir.
Il y a trois grands savoirs :
- La physique
- La mathématique
- La science (objet d’étude de la philosophie)
Ouvrages :
- La Physique : introduction générale à l’étude de la nature avec une analyse de la notion de nature (II), une définition du mouvement (III), et de ses conditions générales (I : matière, forme, contraire; III-IV : infini, lieu, vide, temps) et qui se conclut sur la nécessité du Premier Moteur immobile (VII).
- Le traité Du ciel porte sur le monde supra lunaire et sublunaire comme le Gen et Corr.
- Les Météo. qui traitent des phénomènes atmosphériques (le prologue porte sur l’enchaînement des différents traités de cette série).
- De l’âme porte sur le vivant, introduction générale auquel se rattachent les Parva Naturalia qui traitent des fonctions psychiques et leur rapport au corps;
- Hist. des animaux : enquête, étude descriptive, compilation de données suivie des Parties des animaux (traité de morphologie comparée).
- Mouvement des animaux, Marche des animaux, enfin Gén. Des Animaux (traité d’embryologie).
Philosophie théorétique : philosophie première
La Métaphysique est un recueil artificiel de 14 livres. À ce groupe de textes, on peut ajouter le livre VIII de la Physique.
Philosophie pratique : éthique et politique
- Les deux éthiques : Éthique à Eudème, Éthique à Nicomaque qui est une version plus tardive de la première.
- Lse Politiques : recueil artificiel de huit livres.
L’interprétation évolutive : Aristote élève dissident de Platon
(Hypothèse de lecture)
Références :
- François Nuyens, L’Évolution de la psychologie d’Aristote, 1939 (1948 pour la trad. fr.).
- W. Jaeger, Studien zur Entstehungsgeschichte der Metaphysik des Aristoteles, Berlin, 1912 et Aristotles. Grundlegung einer Geschichte seiner Entwicklung, Berlin, 1923.
- U. von Wilamowitz, Aristoteles und Athens, Berlin, 1893.
Les textes d’Aristote sont écrits de manière remarquablement neutre. On n’a commencé à s’intéresser à l’écriture des textes d’Aristote (l’auteur). En 1891 est exhumé des sables d’Égypte un texte inconnu, La Constitution d’Athènes. Cette découverte attira l’attention sur l’Aristote perdu, et lance l’hypothèse d’une évolution de sa pensée.
Hypothèse de Jaeger : certains textes (fragments d’œuvres perdues ou parties d’œuvres conservées) témoignent d’un idéalisme hérité de Platon ; tandis que d’autres attestent de la répudiation de cet idéalisme au profit d’une pensée positiviste.
(R-A Gauthier et Y. Jolif, Éth. À Nic., Tome I – Introduction, pp. 62-63)
Première phase : idéalisme et transcendance de l’âme
Dans un premier temps, Aristote adopterait l’anthropologie du *Timée* et des Lois : l’âme est immortelle, elle est composée d’une partie rationnelle et d’une partie irrationnelle, mais l’âme, c’est avant tout la raison ou l’intellect.
Deuxième phase ; instrumentalisme mécaniste
La deuxième phase d’Aristote est davantage tournée vers la biologie. Aristote dissocie toutefois le corps de la pensée (le cerveau n’est d’ailleurs à ses yeux qu’un organe qui sert à réfrigérer le corps).
Troisième phase : hyélomorphisme
L’âme et le corps ne sont pas de nature différente, mais forment une unité substantielle. L’âme est quelque chose du corps, sa forme.
Limites et critiques
Hypothèse séduisante, mais aussi suspecte :
La tentation des génétistes sur ce point a été de juger que le texte le plus ancien est celui qui expose l’opinion la plus proche du platonisme. Mais ce critère constitue, ni plus ni moins, une pétition de principe. Il suppose très précisément ce qu’il faudrait démontrer, savoir qu’Aristote n’a pu défendre une opinion platonicienne qu’à une époque d’immaturité et n’a pu s’opposer à Platon que revenu plus tard de ses égarements. (R. Bodéüs, Aristote. Une philosophie en quête de savoir, Paris, Vrin, 2002, p. 107)
Il y a une codépendance entre le corps et l’âme qui a pour conséquence que ceux-ci ne peuvent être totalement dissociés. L’âme est progressivement naturalisée. Cependant, l’intellect n’est pas naturalisé chez Aristote : l’âme ne vieillit pas, par exemple.
Aristote aurait récusé les formes intelligibles (les formes de Platon) au profit d’une conception « déflationniste », prônant une forme d’« ADN », de « programme génétique » des corps.
Identité et unité de la science recherchée
La métaphysique (qu’Aristote n’appelle jamais ainsi1) est successivement identifiée :
- à la « science recherchée » (sans nom, à la recherche d’elle-même), science sans nom dont on présume que pour Aristote elle est une science inédite; elle s’interroge sur elle-même, sur sa propre possibilité;
- à la « sagesse » (sophia) portant sur les premiers principes (A, 1-2);
- science de l’être en tant qu’être et de ses attributs par soi (Γ 1, 1003a21-22 et E 1, 1026a31-32);
- science « théologique » (theologikè) (E 1) distincte de la theologia à proprement parler, qui correspond aux mythes hésiodiques et aux croyances religieuses touchant les dieux;
- science de la substance, premier sens de l’être, à partir du livre Z et jusqu’à Θ (« ousiologie »)
- « philosophie première » en rapport avec la « philosophie seconde » qui renvoie à la physique (Méta. E 1 et Phys.);
- enfin, certaines acceptions de la dialectique tendent à se rapprocher de ce qui est dit de la métaphysique.
Les sciences exactes chez Aristote doivent rester cloisonnées, limitées, pour produire une connaissance qui n’est valide qu’à l’intérieur de leur champ.
Tensions
Première tension : science « humaine », du moins portant sur le monde sublunaire, ou science divine (E 1 et Λ).
Deuxième tension : même en limitant la question à l’ontologie des substances sensibles, la nature de la « science recherchée » n’est pas claire :
- science des premiers principes servant de points de départ indémontrables aux sciences (enjeu épistémologique) (E 1)?
- science de l’être en tant qu’être qui interroge l’être pris de façon absolue (haplôs) (ontologique)?
- ou encore science de la substance par rapport à laquelle tous les autres sens de l’être se disent (les autres catégories) (enjeu sémantique et logique) (Γ)? Parle-t-il de l’être?
La Métaphysique n’est pas un traité, mais plusieurs traités rassemblés. Le sens même du titre ne va pas de soi (et plusieurs appellations différentes se succèdent). Le sens du mot « méta » n’est lui-même pas clair et univoque. « Métaphysique » pourrait prudemment ne désigner que ce qui vient après la physique. L’enjeu, c’est de savoir si le discours du physicien épuise la réalité. Qu’est-ce que le tout du réel? Le discours physique est-il suffisant à expliquer le monde? (Et sinon, quel est le discours qui l’englobe?)
Troisième tension : la « science recherchée » a en commun avec la dialectique sa transversalité. Comme la science recherchée – la dialectique – se situe en marge du discours scientifique (elle échappe à l’interdit d’intercommunicabilité des sciences), elle pose le problème d’être trop générale.
*En quoi la dialectique est-elle une science recherchée?*
En quoi la science recherchée se distingue-t-elle de la dialectique (en faisant quelque chose que la dialectique ne fait pas déjà)?
On a quand même quelque chose qui se trouve au-delà de la science, peut-être même au-delà des limites humaines?
Notes
- On ne mentionnera pas à chaque fois que le terme de « métaphysique » n’est pas d’Aristote. Aussi pourra-t-on employer les guillemets pour parler de la « métaphysique » d’Aristote dans les textes et dissertations de ce cours. Retour ↩