Fake news et imaginaires conspirationnistes
Yves Citton: Faits, perspectives, orientations : La (post) vérité n’existe pas
Il est important d’utiliser les termes correctement en-dehors de l’université, on les utilise parfois de façon «assez leurrante».
3 niveaux.
Il n’y a pas de faits, il y a des facta. Il n’y a pas de données, il y a des capta. (évidences pour les universitaires)
Les choses sont construites: elles peuvent être présentées comme des «faits» (vraies) ou des mensonges (fausses).
Ex. pizzagate dans le discours politique aux États-Unis.
La notion de «fake news» est bien antérieure à Trump. «Infox»: intoxication sur les nouvelles. Elle vient massivement des gouvernements (ex. armes de destruction massives en Irak).
Bruno Latour, qu’est-ce que sont les sciences?
rendre les lointains accessibles en tapissant le trajet par le mouvement à double sens des mobiles immuables
Bruno Latour
objectif scientifique: rendre les «lointains» accessibles (information, ce que font les médias, cf. Marshall McLuhan, les médias comme prolongement de nos sensibilités) en tapissant le trajet de «mobiles immuables» (en donnat la date de l’entretien, le nom de la personne, etc.). Montrer le trajet de l’information.
Les fake news (de manière plus ou moins mensongère ou explicite) pourraient donc être entendues comme des informations qui cherchent à créer l’illusion que les lointains se sont réellement produits. Remède: montrer le chemin de l’information.
Niveau plus profond
cf. Luis J. Prieto Pertinence et pratique: essai de sémiologie (lien web).
Différence entre phonétique et phonologie: la phonétique étudie toutes les configurations possibles des sons (position de la mâchoire, bruits des appareils, etc.), alors que la phonologie étudie plus précisément la différence de signification produite par le son.
Concept: apeirogon (cf. Colum McCann): un objet avec un nombre infini de faces, mais on n’en choisi qu’un nombre fini pour sa pertinence (pour une perspective donnée). Ex. pertinence d’un point de vue pratique (cf. livre de Prieto).
cf. Emmanuel Alloa, Partages de la perspective
Exemple: disproportion dans la couverture des faits dans les meurtres en France (une femme est assassinée tous les 2 ou 3 jours par leur compagnon, mais les médias en parlent à peine) vs assassinat de Samuel Paty (résonance internationale).
D’où viennent ces perspectives?
- orientations
- savoirs situés (en société, selon des positions socailes)
- idéologies (systèmes d’idées, liés à des valeurs, des images, des récits, etc.), ne s’opposent pas forcément au «grand savoir»; plusieurs idéologies en contradiction les unes avec les autres
- cultures (multiples; d’ailleurs le multiculturalisme n’est pas accepté de la même manière d’une société à une autre, ex. France vs Québec)
Richard Horty, «vocabulaire final» (concepts, valeurs, croyances…?). Les gens emploient des mots, des mots qu’on est incapables de définir, mais auquel on est très attachés (ex. démocratie; liberté; prophète; etc.)
Il suffit de regarder quelque chose assez longtemps pour l’aimer.
Gustave Flaubert
On finira par trouver une pertinence dans quelque chose qu’on regarde de manière prolongée.
Post vérité?
Pour Yves Citton, l’expression «fake news» est épineuse
Il y a toujours eu de l’infox, volontaire ou ignorante (nous naissons tous ignorants). Nous sommes dans une époque de pré-vérité: la vérité est toujours au-devant de nous, se tisse en trajets en aller-retours; souvent ce savoir se retisse (ex. dans l’histoire des sciences, Einstein revient à Newton).
Plutôt que de se préoccuper des fake news, il faudrait se préoccuper des «pertinences discutables» (ex. le meurtre des femmes en France vs couverture médiatique des attentats au couteau dans la rue en criant allahu akbar).
Philosophe africain: Joseph Tonda, L’impérialisme postcolonial (lien web), parle «d’éblouissement».
Les «médias immanents» (ex. Black Lives Matter, George Floyd): le travail permettant de documenter peut se faire directement sur le terrain, grâce à la caméra d’un téléphone cellulaire d’un passant (pas besoin d’un grand travail de recherche scientifique). Tapisser le réel d’une autre façon (complémentaire, pas exclusive).
Plutôt que de dénoncer une ère de post vérité, prendre la «capacité d’investigation»: considérer ce qui se fait dans le travail journalistique (travail d’enquête, cf. John Dewey), il y a toujours nécessité de payer des journalistes et professionnels de l’information mais il faut aussi reconnaître les nouvelles pratiques, les nouvelles infrastructures de communication.
On se perd souvent dans les questions de notions, de vocabulaire.
Relativiser l’importance des fake news
https://trends.google.com/trends/explore?date=all&q=fake%20news,covid
Questions
Marcello: Le mot fake news est dangereux. L’usage de l’expression fake news n’est plus si à la mode. Quelque chose est-il en train de changer? Conspirationnisme amalgame-t-il tout (décisions des gouvernements, interprétation de l’interprétation des données, négationnistes de la covid)? A-t-on peur (ex. à l’université, avec des points de vue divergents) de se faire traiter de complotiste? Peur de la fausse vérité de la peur face au totalitarisme de la vérité unique/absolue/inébranlable…?
Yves: Discréditer la critique (ex. se faire traiter de trumpiste à l’université!!). Les américains ne sont pas forcément plus bêtes que les autres (point de vue rancérien que tout le monde est d’égale intelligence), il ne s’agit pas d’expliquer l’élection de Trump par la question de l’intelligence.
La «marchandisation de l’attention»: ce qui fait récit (discours, sons) est fait en proportion de l’attention qu’elle attire.
Orélie: Féminicide vs meutre de Samuel Patty: familiarisation symbolique? Distance affective. Manière de définir ce qui fait commun?
Jean-Marc: Mouvement à double sens (cf. Latour) est aussi une perspective. Refus du mouvement à double sens, ex. la dimension des affects. «Régimes d’authenticité»: angle institutionnel: ce qu’une autorité déclare vraie en fonction d’une légitimité qui repose sur cette capacité à dire ce qui est vrai. Auto-construction (ou auto-nourissement) du point de vue des autorités.
Yves: Capacités agglutinantes. Capacité de faire adhésion (transcendance immanente des affects), croire à un récit religieux non parce qu’on sait qu’il est vrai mais parce qu’il nous permet d’avancer.
Mettre l’affect au centre des dynamiques pour comprendre les constitution de l’autorité.
Fabien Richert: Hyperstitutoin, spéculation et complot: schizoanalyse des imaginaires conspirationnistes
Le concept d’hyperstition
Néologisme hype + superstitution
L’hyperstition est un néologisme qui combine les mots hyper et superstition poour décrire l’action des idées qui se réalisent dans la sphère de la culture.
Delphi Cartens, Hyperstition, Xenopraxis, 2010.
Ex. William Gibson, cyberpunk.
Référence incontournable: Deleuze et Guattari.
Nick Land
4 principes
- principe performatif: fragment de l’imaginaire social, à la fois actif et effectif.
- exemple: l’affichage des indices boursiers (réel et performatif)
- principe fictif: encourage et facilite la mise en intrigue
- exemple le transhumanisme: les discours transhumanistes produisent une histoire de la technique, imaginaires d’un futur, prophéties auto-réalisatrices
- principe explicatif: propose une saisie de la totalité. La mise en intrigue propose un déploiement logique, jeux de renvois, rend visible/intelligible. On délaisse les explications causales… pour les discours occultes (voir principe mystique).
- Théorie du complot où on pense que rien n’arrive par hasard.
- principe mystique: maintient un rapport à l’altérité radicale. On préfère l’explication mystique à l’explication causale. Réenchanter l’imaginaire. Recours à l'occulte.
- Lovecraft: figure de l’indicible. Jeu de miroir, relativise la place des humains (créatures faillibles, précaires, etc.)
Explications: Contexte d’émergence, imbrication dans la société de spectacle, rapidité de la circulation de l’information.
Hyperstition et postmodernité
L’hypothèse de l’accélérationnisme (cf. Nick Land, CCRU).
Accélération technocapitaliste.
Selon l’accélerationnisme: les changements technologiques doivent être accélérés.
Imaginaire catastrophiste: l’accélérationnisme s’accompagne de l’auto-destruction de l’humanité ou l’accélération vers la singularité.
Ancrage théorique dans l’interprétation des thèses de Deleuze et Guattari.
Accélération technique et sociale
3 formes d’accélération:
- accélération technique 🚂🚄
- accélération sociale (de la société, de ses rites, normes sociales, etc.): expériences de fragmentation, vie liquide
- accélération des rythmes de vie: augmentation du nombre d’expériences par unité de temps (multitâche), sur-sollicitation; «conséquence du désir ou du besoin ressenti de faire le plus de choses en le moins de temps possible».
Hyperstition et hyperréalité
Marchandisation avancée du monde vécu: liquidité, superficialité, absence de profondeur (cf. Jameson).
Hyperréalité: processus d’expansion de la réalité, de la prolifération d’informations, de signes, de systèmes de simulation (prolifération de signes, cf. Baudrillard; ex. la société américaine est hyper-réelle, cf. Los Angeles, theme park, Disney world).
Le sujet contemporain cherche à s'orienter, à se repérer dans le système-monde (cf. Boltansky, agir détective). Expérience de la fragmentation et de la saturation.
Frederic Jameson (Archéologies du futur le désir nommé utopie): on cherche désespérément à cartographier le monde dans la modernité tardive.
Dans le contexte, comment trouver «un peu de champ», un peu de recul, de distance, dans un univers caractérisé par son immédiateté, son instantanéité? Comment permettre à l’individu de se repérer dans le monde contemporain tardif, d’y créer un peu de distance?
Étude de cas: Cyclonopedia
Cyclonopedia: œuvre hyperstitutionnelle par excellence.
Mobilise les stratégies narratives et les configurations représentationnelles plus spécifiques aux œuvres de complot.
Le manuscrit présente les travaux d’un archéologue devenu fou, ex.:
le pétrole est une entité vivante et consciente qui a conspiré à l’avènement du technocapitalisme
Dans le réveil du pétrole, en tant que conspirateur autonome terrestre, le capitalisme ne se présente pas comme un symptôme humain, mais plutôt un phénomène planétaire inévitable. En d’autres termes, le capitalisme était déjà là avant l’existence humaine, en attendant son hôte.
Reza Negarestani, p. 27
Point de vue orienté: la «blob-objectivity».
Schizoanalyse du devenir-monde du capitalisme
Negarestani dans Cyclonopédia propose un recentrement du capitalisme sur le pétrole.
L’hyperstition libère des «machines esthétiques» qui transforment l’altérité au cosmos…
Cinquième principe: étrangisation (constant décalage qui caractérise les œuvres d’hyperstition). Étrangiser, nous empêcher de penser l’altérité. Participe aussi du «réanchantement»…
Questions
Nicolas: Hyperimagination? Accélération de l’imagination (fictif…) à travers dispositifs technologiques, big data, alogrithmes, surveillance de masse…
Orélie: Simulacre d’esprit critique (les gens qui adhèrent à des théories du complot croient paradoxalement faire preuve d’esprit critique).
Yves: Retour sur l’ouvrage de Nick Land. On ne peut pas prendre de distance…
Renée: Imaginaire social, une clé pour comprendre les liens entre fiction, espace social (débordement de la fiction sur le réel); brouillage de la réalité. Écosystème socionumérique autour du web. Perspective ayant émané de la gauche, rejaillie par la droite américaine («faits alternatifs»). Nick Bostrom, Superintelligence – livre terrorisant.
Orélie: Comment tracer la ligne entre esprit critique et complotisme? (problématique éventuelle en classe…)
Au-delà de l’esprit critique, la souplesse cognitive.