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Note de l’éditeur clandestin

Le présent texte a été reproduit intégralement et sans l’autorisation de son auteure, Catherine Mavrikakis.


Fiche sur le texte de Maxime Raymond-Bock

Je n’ai que la version PDF du texte, mes extraits ne renvoient pas nécessairement aux pages que vous trouvez dans le livre. En fait, je ne sais pas. Je pense que la fiche ici présentée peut vous aider pour les travaux suivants.

  1. Comment les textes vus en classe vous permettent-ils de critiquer et de penser l’éducation des filles?
  2. Quels sont les limites d’un « bien écrire » pour un(e) écrivain (e) ?
  3. Quelle est la place de la soumission dans l’apprentissage?
  4. Comment penser la transmission de la littérature ?

Le texte présente un personnage Robert Lacerte, poète raté, qui n’a pas réussi dans le monde littéraire. Le narrateur du récit, novella (entre roman et nouvelle) va raconter l’histoire de Robert et ainsi devenir écrivain dans un étrange processus de transmission. Les questions qui traversent ce texte sont les suivantes :

Qu’est-ce qu’un échec, un ratage en littérature ?

Quelle transmission, quel héritage ont lieu entre le vieux poète raté et l’écrivain plus jeune qui nous raconte la vie de Robert ?

Quelle est la place de la communauté des hommes écrivains dans le texte ? (Il faut noter l’absence des femmes ou leur présence très peu importante).

En pensant aux possibilités du travail final, j’ai choisi de diviser l’étude en trois grandes axes :


1. L’échec littéraire

Robert est un poète raté, qui a écrit mais qui n’a jamais réussi à faire un livre.

L’échec ici est pensé à travers l’incapacité de créer une forme finie. Robert écrit à l’infini sans être capable de mettre des limites à sa production, de garder certains choses et d’en jeter d’autres, de faire des distinctions

« Quand il m’a permis de lire dans ses archives, j’ai constaté qu’il y avait bien là l’écriture même, un geste obstiné, qui survient parce qu’il le doit, qu’importent les conditions. ». P. 45.

Ici on a l’impression que ce n’est pas Robert, un sujet qui écrit, mais l’écriture qui écrit, qui est sujet dans la phrase. Écrire devient un geste qui n’est pas réfléchi, qui n’est pas une pensée.

Chapitre 4 : « Je n’ai jamais vu autant d’archives personnelles accumulées au même endroit. Robert n’écrivait sûrement pas tant que ça. Un écrivain assidu peut sans doute produire beaucoup plus. Mais lui gardait tout, et inutile de dire qu’il n’a jamais utilisé d’ordinateur quand ceux-ci sont apparus. » P. 41

Notez les « jamais », le « tout ». Les mots qui expriment la quantité « pas tant que ça, beaucoup plus ».

« (…) il m’a montré, dans le coin du garde-robe de la chambre, les quatre feuilles, marquées par un pli en croix, qu’il avait remplies au camp de bûcherons. Et à côté ça proliférait, ça débordait du garde-robe et montait jusqu’à la taille, à hauteur d’homme dans les coins, les piles formaient un labyrinthe reliant les portes aux meubles, au lit, à la table de cuisine, au canapé du salon, devant lequel une télé de treize pouces était encastrée dans un mur de papier. » P. 42

Notez qu’avec le « ça » répété, on a l’impression d’un mécanisme monstrueux, qu’on ne peut nommer, mais qu’on montre du doigt. La phrase est très longue, elle montre aussi le débordement.

Robert a beaucoup écrit mais n’a pas su couper.

« Mais les textes m’ont paru une glaise ingrate, un premier jet à la limite de l’irrécupérable. Assez mauvais, à vrai dire » p. 45

L’idée de glaise renvoie à une métaphore de sculpture non finie. En fait, Robert ne sait pas reprendre son travail, il ne fait que des premiers jets à l’infini. Il n’arrive pas à sculpter son œuvre.

De plus, comme Bouvard et Pécuchet, Robert a quelque chose du copiste :

« C’est aussi là qu’il a commencé à colliger, dans une bibliothèque qu’il a ramassée sur le trottoir et raplombée à l’aide d’équerres, les ouvrages de poésie commentés par Camille Roy dans son Manuel d’histoire de la littérature canadienne de langue française. Avec des plumes d’oiseau qu’il cueillait au bord de la rivière Magog et qu’il taillait en biseau, il en recopiait des extraits dans des calepins en pianotant sur la table pour compter les syllabes. » P. 27

Notons l’insistance sur la collection : « colliger » et « ramasser »

Ici, Robert a quelque chose d’un enfant, il joue avec des plumes d’oiseaux, il pianote. Il sera toujours un dilettante. La dernière phrase est longue, comme si le travail littéraire était inclus dans le jeu avec les plumes et le piano imaginaire.

Dès le départ Robert est comparé à Miron, le poète québécois très célèbre, mais en est une mauvaise copie . Comparaison peu élogieuse avec Miron qui ouvre le récit « Mais il ne partageait jamais avec Miron que ces origines communes » P. 6

L’accumulation que Robert fait de ses textes est vouée aux poubelles ( cf. le mot employé plus tôt « irrécupérable »)

Alors que Robert est à l’hôpital, les pages écrites par lui se retrouvent jetées ou recyclées comme du vulgaire papier. Elles ne sont récupérables que comme feuilles recyclables.

« D’autres hommes jetaient les documents, à partir du deuxième étage, dans le conteneur de la cour, où ils lançaient aussi les débris de la salle de bain qu’ils défonçaient à la masse. On ne m’a rien demandé, seulement fixé un moment, et j’ai compris qu’il valait mieux que je sorte. Je suis resté longtemps à regarder les feuilles débouler dans la rue, les cahiers presque s’humecter des premiers flocons lents et isolés. Une dame s’est arrêtée, intriguée par l’amas, en a tiré un calepin et l’a feuilleté, l’a remis par terre, s’en est allée. Quand je l’ai vue, de dos, lever les épaules, j’ai été frappé par l’outrage qui se produisait là. Un outrage à la mémoire d’un homme, certes. Mais aussi, peut-être, ai-je redouté, à la littérature, à la possibilité de la littérature. Je me suis rappelé combien j’avais trouvé mauvais ce que j’avais lu de ces textes, mais, devant ce carnage, le doute était obligatoire. Peut-être y avait-il quelque chose là-dessous, quelque chose que je n’avais ni compris ni senti, moi dont les propres poèmes sont médiocres et qui ne suis pas le plus fin lecteur, quelque chose qui disparaissait dans l’hiver[…] » P. 92

« Et s’éclaircissait enfin la nature de cette œuvre qui s’éparpillait à l’agonie sur ce minable boulevard de l’est de Montréal. Ç’avait toujours été l’écriture même, oui. Mais jamais Robert ne s’était approché de quelque justesse. Il n’avait jamais qu’emprunté, qu’imité, n’avait jamais pu que se faufiler parmi les interstices et prétendre ; et encore, ne prétendre que pour lui-même. C’est ce qui l’avait tenu en vie. C’était affreux. C’était magnifique. Les larmes me sont venues. En remontant Langelier vers le métro, j’ai croisé le camion de recyclage. J’y ai lancé le cahier en hurlant, puis l’autre rapporté de l’hôpital » P. 92-93

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Notons la répétition du mot « littérature », pour montrer qu’elle n’a pas existé, qu’elle a été annihilée ici et puis les mots » empruntés, imités » qui sont un peu redondants et insistent sur le caractère de copiste de Robert. Rien d’original dans son travail.

Donc échec, puisque forme inachevée et copie de la littérature (pâle copie de Miron). Robert n’était qu’un écrivain non réalisé, un écrivain potentiel (« possibilité de la littérature »), dit le texte.

« ll a décidé de classer les textes en ordre de rédaction, pour en faciliter l’interprétation par qui les découvrirait un jour. À la fin des années quatre-vingt-dix, il avait terminé d’ordonner son passé. » P. 87.

C’est un archiviste ici, pas un écrivain (vocabulaire « classer » , « ordonner ») d’où son échec.


2. La transmission du littéraire

Le personnage principal Robert ne signe pas son histoire. Elle est racontée par un narrateur. Le narrateur est témoin d’abord.

Robert n’est donc pas le narrateur, ni l’écrivain.

« Peut-être, quelqu’un, un jour, se lierait d’amitié avec lui et s’intéresserait à ses textes, découvrirait leur qualité exceptionnelle et en entreprendrait la publication, qui lui vaudrait une gloire posthume. » P. 88

Robert veut la gloire, même après sa mort et espère que quelqu’un publiera ses œuvres.

Notons l’emploi du conditionnel dans le texte qui montre que cela n’aura pas lieu (pas de futur), ce n’est qu’un espoir improbable.

Or sa gloire va venir non pas de son travail de poète, non pas comme sujet écrivant, mais comme objet de l’écriture du narrateur.

Le narrateur écrit :

« Ce ne serait pas un parrain d’écriture. Mais c’était un conteur prolixe, et fort en invention, et enclin au mensonge certainement, ça se percevait dans la nitescence de son petit œil latéral, fermé à demi quand il expirait longuement la fumée de sa poffe. J’avais trouvé un clown. Un personnage. Un sujet dont j’ai voulu faire un objet. » P.45

« Je ne peux m’empêcher de me trouver profiteur. Je ne sais pas ce qui serait advenu de mon écriture dans d’autres circonstances, on ignore comment aurait été la vie à droite quand on a pris à gauche. Sans Robert, j’aurais probablement recommencé à écrire de toute façon. D’une autre façon. Mais c’est tombé sur lui, j’en ai tiré le plus de jus possible. En même temps, j’ai été la seule personne à l’accompagner jusqu’au bout. » P.44

Robert est un conteur, un clown… pas un poète. Notons dans le phrase le renversement de sujet à objet.

Le narrateur se voit comme un profiteur. Il a écrit sur Robert, en l’utilisant. Il a ainsi, lui le narrateur, quitté lui la poésie pour passer au récit.

Alors, il y a eu non pas chez le narrateur un désir de publier Robert, mais plutôt un désir de signer un texte sur les récits oraux et écrits de Robert.

En fait, c’est le récit de sa vie (et non la poésie) que Robert a légué au narrateur qui ne sera pas lui non plus poète mais bien romancier pour raconter la vie de Robert.

La dernière phrase du livre. :

« C’est beau, Robert. Vas-y. Je vais essayer de t’arranger quelque chose. » Et je suis parti. » P. 93.

L’héritage de Robert, son legs, n’est pas celui qu’il imaginait. Mais grâce à lui, le narrateur « va arranger quelque chose ». Notons combien le « arranger quelque chose » est familier. Il ne s’agit pas de poésie, mais bien d’un récit qui peut être proche de l’oral.

Le narrateur écrit :« Je cherchais comment recommencer à écrire et je ne trouvais rien. Toujours les mêmes mots dont les sens s’étaient évaporés saturaient mon esprit, j’étais incapable de lire au-delà de ce que mon travail de réviseur m’imposait, des pubs ineptes, des rapports d’entreprise en franglais, des revues de tourisme et de mécanique, des manuscrits à peine meilleurs que les miens. Mes enfants accaparaient mon espace vital, m’aspirant jusqu’à la moelle, il me semblait me flétrir pour eux, qui à l’inverse s’épanouissaient. Sous mes yeux s’étaient creusées des poches que les bonnes nuits de sommeil, quand j’en avais, ne parvenaient pas à effacer. J’étais terrorisé par mes stylos. Quand je voyais poindre un moment où je pourrais tenter d’écrire, les fins de semaine où les petits allaient chez leurs grands-parents ou durant les nuits nerveuses où je n’en pouvais plus d’écouter Joannie dormir, je l’épuisais en m’égarant dans Internet. Quand Robert m’est apparu, un soir de juin, dans un parc de Hochelaga où la Vanne à poèmes faisait sa tournée, je m’étais à peu près résigné à l’idée que je n’écrirais plus. P. 23

La rencontre avec Robert est un peu mystérieuse. Notons la façon de dire : « Robert m’est apparu ». Une révélation, une apparition. Quelque chose de surnaturel, qui sauve le narrateur de sa panne d’écriture.

Le chapitre 5 sur le voyage le voyage en Amérique du sud montre combien le narrateur sait raconter des histoires, faire un récit parfois même épique.


Communauté des hommes

La littérature vient à Robert par Denis au camp de bûcherons

« Denis a tiré de sous le lit son paquet en appelant Robert. Il a rompu la ficelle de ses dents et déchiré le papier brun. Une quinzaine de livres, une centaine de feuilles et quelques crayons de plomb sont tombés pêle-mêle sur le matelas et le plancher.

​ À partir de là, il n’a plus été question de faire de somme l’après-midi. Denis devenait distrait et moins assidu à l’ouvrage, lisant une ligne chaque fois qu’il passait près du lit, multipliant ses voyages aux bécosses, s’éclairant le soir dans l’alcôve avec une lampe à l’huile pour lire après la vaisselle, et Robert devait compenser son travail négligé. N’ayant plus de partenaire pour les cartes ou les dés et trouvant les lieux éteints, Robert n’a pu s’empêcher de s’intéresser à ce qu’il y avait d’écrit là ». P. 16

Les formes en –ant du gérondif montrent les activités multiples de Denis pour parvenir à lire, sa détermination.

Ainsi Denis donne accès à un nouveau monde. Je me contente de citer ce passage sans le commenter :

« Denis suscitait une autre réalité, un champ d’énergie tendu autour de ce que chaque terme évoquait, et qu’alors la trame qui enchevêtre les objets, les êtres, les gestes ou les idées se tissait d’une matière inédite. Son nouvel ami lui donnait accès à un espace privilégié, duquel il n’aurait rien su sans lui, et qui se refermait derrière les paroles comme le sillon derrière un canot. » P.12-13

Cette fascination que suscite Denis ne s’exerce pas seulement sur Robert, mais sur tous les gens à qui il lit les textes à voix haute. La communauté des hommes se fait non seulement par le travail de bûcheron, mais bien par la littérature. Les hommes au camp de bûcherons écoutent ensemble.

« Obnubilé, Robert n’a pu remarquer l’ahurissement des hommes désormais à l’écoute, le bref silence après le frottement d’une nouvelle page tournée. Ayotte a mis une main sur son épaule. Robert continuait de déclamer en yodlant. Ayotte l’a secoué doucement : « Arrête. Allez finir la vaisselle. Pis faut que le gruau soit prêt à l’heure demain matin. Nous autres faut qu’on finisse d’ouvrir la trail le long du lac Vert. Avant le redoux. Comprends-tu ce que ça veut dire, ça, mon petit gars ? » Les hommes se sont dispersés dans le dortoir. Les garçons ont tremblé jusqu’à leurs quartiers. À partir de là, le gruau et la soupe ont été au goût des bûcherons, l’écurie a été balayée, la vaisselle miroitante. » P. 19-20.

En parlant de cette communauté des hommes créée par la littérature et l’écoute, je mentionnerai aussi l’amitié de Simon et Robert, puis celle du narrateur et de Robert.

« L’été de notre rencontre, on a suivi la Vanne à poèmes ensemble. On n’avait pas besoin de se téléphoner pour se donner rendez-vous, l’horaire estival des Poètes décorporés était pour ainsi dire notre agenda. Durant ces premières soirées, j’ai compris qu’il se complaisait dans sa figure de fantôme. Il se tenait toujours en arrière, mais bien des gens savaient qui était ce Baloney, comme s’il jouissait d’une reconnaissance de has-been, des restes de la carrière qu’il n’avait jamais eue. P. 46

Insistance sur « notre », ensemble, donc communauté entre le narrateur et Robert.

Les femmes sont exclues de cette compréhension littéraire du monde :

Le narrateur écrit :« Joannie s’est impatientée de me voir disparaître si souvent pour rentrer atrophié, plus exaspérée que lorsqu’il n’était question pour moi que d’aller jaser, au nom de la création littéraire, rien de moins, avec cet homme qu’elle trouvait aussi dégoûtant que dépourvu d’intérêt. À son sujet, elle n’avait raison qu’à moitié. Pour le reste, en entier. On avait la vie de notre côté, deux petites vies brutes qui grimpaient partout et exigeaient notre aide en hurlant pour tout foutre à terre. Il fallait que je participe. » P. 71

Nicole, la blonde de Robert est vite exclue aussi de l’amitié avec Simon, même si au début elle fait partie du groupe des artistes.

Mais Robert lui-même ne forme pas une communauté avec tous les hommes poètes :

« S’ils lui parlaient bien quelques minutes, ces poètes accomplis ne restaient pas avec lui plus que la politesse ne l’exige » P. 47

Il est exclu, lui aussi.

Donc la communauté des hommes lettrés n’est pas automatique, évidente.

Néanmoins, elle s’organise principalement sans les femmes.