Contexte dans lequel l’anthropologie se constitue comme discipline scientifique
Yves Coppens est parmi ceux qui ont découvert l’australopithèque Lucy.
A. Savolle parcourt les grandes familles chronologiquement, à partir de racines dans l’Antiquité.
Le cours tente de lier plusieurs approches pour expliquer les grandes théories de la discipline :
- En s’intéressant aux discours et aux interprétations qu’on en a donné à travers le temps : les signes.
- En focalisant sur un moment particulier ou une figure spécifique : les figures.
- En isolant une configuration particulière, celle d’un pays ou d’un champ d’études particulier : les aires.
- En révélant les sujets ayant mené à des « grandes théories » ou des tendances de fond : la cristallisation.
L’anthropologie naïve, ses traces érudites à travers le temps et les cosmologies antiques
Nous sommes tous des anthropologues; nous faisons tous de l’anthropologie, d’une manière ou d’une autre.
(Rapide survol historique pour se situer globalement.)
L’Odyssée d’Homère est l’un des textes qui ont défini ce qu’est la Grèce.
Hésiode est l’un des premiers à avoir tenté une cosmogonie (dans laquelle il devient impossible de penser les humains en-dehors des dieux).
Anaximandre de Millet est le premier à exclure les dieux de son explication du monde.
Platon, dans le Timée, traite de l’âme (unité immortelle).
Pline l’Ancien consigne l’ensemble du savoir humain.
Vision de la période « noire » (Moyen Âge en Europe, grande noirceur au Québec).
Au XIVe siècle, Bagdad est la « capitale intellectuelle » du monde (tous les écrits passent par cette ville). Ibn Khaldoun propose une science naturelle comparative.
Pline a aussi préconisé l’importance de l’environnement avant la lettre (les inventions surviennent très souvent bien avant qu’elles ne se retrouvent dans les livres, comme l’imprimerie, inventée bien des siècles avant Gutenberg en Chine).
Les explorations et les premières descriptions de peuples « exotiques »
Comment les voyageurs qui racontent leurs aventures sont-ils pris? Les carnets de voyage sont toujours remis en question.
L’une des principales tâches de l’ethnologie consiste à se départir des préjugés, des a priori (en regard des pratiques culturelles, par exemple l’excision).
Il faut aussi prendre garde à la véracité de l’informateur (l’anthropologue rapporte-t-il des faits vrais?).
L’exotisme : on regarde autre chose en supposant que « l’herbe est plus verte ailleurs ». Plusieurs anthropologues pratiquent en exotisme.
L’anthropologie physique
Au Moyen Âge, il y a une forte interdiction de pratiquer la chirurgie sur les cadavres (interdiction par l’Église en 1215). À partir de 1391, on le permet. (Il y a un fort esprit scientifique au Moyen Âge.)
Prémices de la constitution de l’anthropologie comme discipline
Le mot apparaît pour la première fois en 1501 dans un ouvrage de Hundt Magnus (pour parler d’anatomie).
Genres ethnographiques profanes
Quelques rares images (gravures) montrent l’habillement au XVIe siècle. Des symboles sont attachés aux vêtements (les figures de paix comme, le clergé, continuent à porter des toges longues, alors que les profanes portent des vêtements plus courts).
Folklore : on s’intéresse aux traditions de la culture populaire (par exemple l’Halloween) et à leurs cosmologies (comment elles se sont développées).
Quel est le rôle social des habits? (Par exemple : qu’arriverait-il au professeur si les étudiants le forçaient à porter une jupe?) Gérondo s’intéresse aux symboles que représentent les vêtements.
Spécificités de l’anthropologie contemporaine utilisées avant sa constitution académique
Foucault, philosophe (non anthropologue), a contribué à l’anthropologie (parmi d’autres personnes).
Plusieurs disciplines gravitent autour de l’anthropologie, s’entrecoupant : on peut donc travailler à l’intersection de ces disciplines, en les impliquant. Par exemple :
- la psychologie;
- la philosophie;
- la sociologie;
- l’histoire;
- la géographie (humaine, en particulier).
Le problème, c’est précisément que l’anthropologie se mêle de toutes ces disciplines.
Montaigne (1533-1592), dans L’Apologie de Raymond de Sebonde, fait déjà preuve de relativisme culturel. Relativisme culturel : nous abordons les différentes cultures selon nos coutumes, nos connaissances, donc suivant notre culture. Montaigne relie l’ethnologie à l’anthropologie.
La Renaissance
Les échanges se multiplient, on fait de plus en plus de découvertes. La Renaissance naît d’abord en France et en Italie, puis se déplace vers l’Europe du nord.
C’est une époque à laquelle les universités naissent. Les universités sont d’abord des institutions formées par des regroupements de savants (des « universitaires ») pour se donner un poids dans la société (et non dans le but d’éduquer les gens). L’accent est d’abord mis sur les canons religieux.
Les paradigmes de la Renaissance en ce qui a trait aux sciences
Heuristique : approche avec une visée centrée sur l’efficacité. On écarte au fur et à mesure les hypothèses qui ne fonctionnent pas.
On passe à un discours où tout peut s’expliquer par les mathématiques, dans une perspective mécaniste. Descartes remet en cause le caractère spéculatif de la scolastique. Il est extrêmement sceptique.
Bacon se fondera plutôt sur ce qui est observable, rejetant ce qui ne peut être observé (et donc balayant les propos de nature purement spéculative).
Pufendorf (1632-1694) se met à séparer culture et nature. Il sépare la religion du statut de l’animal. Il s’inscrit dans le débat traditionnel entre culture et nature.
Le mouvement des Lumières
C’est un mouvement qui n’est pas monolithique.
Il y a une vision particulièrement rationaliste et mécaniste. On applique la science à la sphère sociale : observation et consignation de données statistiques par l’observation (compter le nombre de seaux d’eau dans un village pour évaluer l’abondance relative d’eau).
Les seules constantes dans ce mouvement sont :
- L’humanisme : tous les humains ont des compétences semblables pour découvrir le monde. L’humanisme met l’homme et sa dignité au centre des raisonnements.
- Remise en question permanente des théories proposées, notamment des structures de pouvoir et de la religion.
On réfléchit de plus en plus à des stratégies géopolitiques (Louis XIV).
C’est aussi la dernière époque à laquelle on retrouve des savants généralistes. C’est à partir des Lumières qu’on commence à observer une spécialisation des disciplines. C’est aussi une période d’ouverture (progressive) des universités.
Il y aura de moins en moins de censure (en raison notamment de la profusion des écrits); on laisse parler les gens parce qu’on n’a pas le choix. Il y a des exceptions (Diderot passera quelque temps en prison).
C’est la première époque où on assiste à des « despotes éclairés », en particulier dans le nord de l’Europe : ce sont des dirigeants qui croient aux Lumières (mais à la fin, ce sont despotes; ce sont eux qui ont raison).
On dit souvent des Lumières qu’elles ont remis l’avènement de la modernité. Ce n’est pas tout à fait vrai (tout n’est d’ailleurs pas rose dans les Lumières); les Lumières ont surtout observé le monde.
Il y a eu des radicaux, des positivistes, et d’autres plus modérés qui ont tenté de faire progresser les idées de l’époque.
Différentes écoles nationales
En Allemagne, Kant (1724-1804) mène le mouvement (L’Aufklärung). Kant est le premier à donner un cours de géographie humaine à l’université.
L’idée majeure de Kant, c’est que l’homme peut se libérer de ses idées (ce que La Boétie a appelé la « servitude volontaire »). Kant est très critique sur l’espace public et l’ordre civil.
Johann Gottfried von Herder (1744-1803), étudiant de Kant, est le père du mouvement romantique. Il avance que chaque peuple sa propre perception du monde (« génie »), son « esprit national » (Volkgeist).
Wilhelm von Humboldt (1767-1835) met en lumière le fait que les langues traduisent une certaine conception du monde; que notre conception du monde est (en partie) forgée par la langue.
En Angleterre, il y a John Locke (empirisme) et John Smith (à l’origine du système économique libéral, « la main invisible »).
La plupart des figures sont favorables au libéralisme économique (lequel permet la liberté de choisir, de jouir de la richesse, etc.), sauf Rousseau, qui pointe du doigt le problème des inégalités démesurées.
Le courant romantique
Selon Rousseau, les hommes sont faits pour s’entendre (même s’il y a des inégalités).
La Naturphilosohpie allemande (1790-1820)
La Naturphilosophie (qui ne se traduit pas par « philosophie de la nature » en français – cela ne renvoie pas à la même chose) est une réaction au mécanisme et à la philosophie mathématique. Elle s’accompagne de la science expérimentale; c’est le début des méthodes qualitatives donnant des résultats qui ne peuvent se résumer à une expression mathématique.
Les romantiques réhabilitent la subjectivité (l’observation subjective comme forme de savoir).
La démarche romantique repose sur deux hypothèses fondamentales :
- Une communauté de nature.
- Une absence (ou faiblesse ontologique) d’un monde humain.
Ce qu’on ressent fait partie de la recherche (méthodologiquement justifiable, au même titre que les sciences de la nature); il y a un réinvestissement affectif qui permet d’atteindre la connaissance.
Le Romantisme est un courant constitutif des Lumières qui peut être interprété comme son dénouement ou son antithèse.
(Visionnement d’une vidéo : L’état de nature de Rousseau)
Rousseau présente la société en opposition à l’individu, lequel est privé de son « état de nature ».
Le positivisme (ou scientisme)
Auguste Comte (1798-1857), à contre-pied du courant romantique, pense que le savoir se construit en trois étapes :
- Savoir théologique : explications faisant intervenir une volonté anthropologique cachée.
- État métaphysique : le cheminement rationnel (attaque très claire au romantisme).
- L’état positif : ne réfléchit que sur les données qui sont disponibles.
Comte rejette l’empirisme de Bacon : la science n’est pas une collection de faits; une recherche demande à s’appuyer sur des hypothèses pour savoir ce que l’on recherche.
Comte apporte la notion d’interprétation (à distinguer de la subjectivité). Les données observables doivent être interprétées.
Il faut abandonner la recherche d’explications lorsque les données sont insuffisantes pour la compréhension dans faille d’un phénomène.
Vouloir synthétiser des lois multiples en une loi unique est une absurde utopie (on ne peut plus prétendre avoir « tout compris » après avoir fait une simple recherche).
Ce serait Comte qui aurait inventé le mot « sociologie ».
Le projet de Comte est de figer les sociétés comme elles sont et d’en étudier l’histoire.
Synthèse des tensions incorporées en anthropologie
Quelques traits historiques importants :
- Le relativisme (Montesquieu).
- La géographie humaine (Kant, le génie allemand et le romantisme).
- Le romantisme (avec sa part de folklore et le mythe du bon sauvage).
- Le positivisme de Comte (élaborer des hypothèses et tenter des généralisations par comparaisons, mais ne pas tout réduire à une loi unique).
Il ne s’agit pas de prendre un seul aspect, mais de considérer la diversité des approches (qui peuvent être complémentaires, pondérées entre elles).
Quelques aspects-clés abordés :
- Science comparative
- Interprétation
- Importance de l’environnement
- Subjectivité
- Relativisme culturel
- Méthode qualitative
- Heuristique
- Cosmographie
Faits supplémentaires et tentative de comprendre comment naît l’anthropologie
Carl von Linné (suédois) fait de la classification une méthode scientifique ; il identifie 6000 espèces végétales et 4000 animales.
Gottfried Achenwall (1713-1772) formalise la statistique comme une science utile cherchant à comprendre les affaires de l’État pour mieux les traiter. Il préconise l’observation directe et l’utilisation de questionnaires préétablis pour mener des enquêtes.
L’école allemande passe de l’histoire des peuples (Völkergeschichte) à la science des peuples (Völkerkunde) par la convergence des traditions savantes portant sur le droit naturel, le droit des peuples, etc.
C’est le début de l’anthropologie comme discipline, distincte notamment de la sociologie.
Les « premiers » ethnologues
L’Allemand Georg Foster (1754-1794), qui participe au second tour du monde de Cook, semble être le premier ethnographe (car il suit des méthodes précises dans un certain but et consigne le tout pour en rendre compte à ses pairs).
Il faut impérativement revenir chez ses pairs pour partager ses observations (on ne fait pas de l’anthropologie si on ne revient pas).
Il y a beaucoup de cosmographes (géographes qui consignent leurs observations sur les dynamiques des sociétés qu’ils observent).
Foster critique le mythe du bon sauvage (qui est une illusion).