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L’anthropologie évolutionniste

Les théories annonçant le darwinisme social

Thomas Hobbes (1588-1679) : les individus n’agissent que pour optimiser leurs intérêts. Pour Hobbes, les individus sont en lutte les uns contre les autres s’il n’y a pas d’État.

Thomas Robert Malthus (1766-1834) qui théorise l’idée que restreindre la société est une bonne chose.

Au XVIIIe siècle, on développe la théorie économique du mercantilisme. Le mercantilisme implique la centralisation des États : l’acteur central est un État, il n’y a pas de gagnant-gagnant, d’où la mise en place d’un protectionnisme.

La théorie de Darwin

Darwin aime la méthode linéenne (classification des espèces selon Carl Von Linée). Darwin embarque comme naturaliste au bord du Beagle dans le cadre d’une mission scientifique ayant comme sujet l’Amérique du Sud (il est très bon observateur).

Les Îles Galapagos sont un moment charnière dans sa réflexion : ces îles sont habitées par des espèces présentes sur le continent, mais qui diffèrent par certains détails. Darwin note des différences comportementales des iguanes et des tortues entre le continent et les îles. Darwin propose un changement complet de paradigme, celui du « transformisme » : les espèces peuvent changer, voire donner naissance à de nouvelles espèces.

À son retour de voyage, Darwin réfléchit à comment les espèces se transforment.

Il s’inspire beaucoup de Malthus. Il y a une notion de « progrès » qui se dessine derrière sa théorie (mais il ne le dira pas). Wallace (par conviction religieuse) se refuse à généraliser le transformisme à l’espèce humaine. Darwin passe le pas avec la parution de The Descent of Man (1871).

Herbert Spencer (1820-1903)

Darwin n’a pas réellement parlé d’évolution. C’est Herbert Spencer (l’un des tout derniers savants généralistes) qui met de l’avant l’idée de la transmission des caractères acquis entre les générations et la transformation lorsque de nouveaux besoins apparaissent, mais n’a pas réussi à théoriser quelque chose de convaincant.

Francis Galton (1822-1911)

Galton est l’inventeur de l’eugénisme0. Il prône de contrôler les naissances afin d’éviter la transmission de caractères anormaux ou de maladies. Tout passe par le corps.

Pour ce courant du darwinisme social, une société qui « va bien » est :

Les partisans de ce courant du darwinisme social voient le courant eugénique comme un accélérateur d’une dynamique inéluctable (la transmission se fera inévitablement).

La phrénologie s’intéresse aux liens entre des traits physiques et des traits psychologiques.

(Visionnement d’une vidéo 3 minutes… au cœur des zoos humains)

Les zoos humains étaient initialement le produit d’expériences scientifiques lors desquelles on ramenait des individus de contrées lointaines pour les étudier. Rapidement, l’intérêt scientifique s’est perdu, mais le phénomène a perduré sous forme de business pendant un siècle.

L’attitude prédominante était l’exotisme1.

Andrew Carnegie (1835-1919)

Philanthrope, il finance de nombreuses bibliothèques en Amérique du Nord.

L’évolutionnisme en science sociale

La plupart des scientifiques cherchent à intégrer leurs découvertes dans la grande séquence de l’évolution préalablement construite. C’est une méthode hypothético-déductive et non inductive (trace du positivisme).

La théorie évolutionniste en science sociale cherche à rendre compte de l’histoire de l’humanité, de la place des différentes institutions humaines dans cette histoire, et des différences qui existent entre les différentes sociétés humaines. Il y a plusieurs camps idéologiques dans les départements d’anthropologie (notamment à l’Université de Montréal), mais toutes tendent à se coller sur la théorie évolutionniste.

Deux objectifs principaux :

Les prérequis théoriques induits dans l’évolutionnisme pour les anthropologues

L’évolution étant un progrès, une amélioration, les formes les plus avancées d’une institution sont jugées supérieures.

Séparation des sociétés en découlant :

Peuples inférieurs Peuples supérieurs
Raisonnement enfantin Raisonnement scientifique
Absence d’invention Capacité technologique
Anarchie ou tyrannie Démocratie parlementaire
Communisme primitif Propriété privée
Communisme sexuel, promiscuité Monogamie
Ignorance religieuse Monothéisme, moralité

On se tourne vers les peuples plus « primitifs » pour comprendre la provenance des sociétés occidentales avancées (qui en découleraient, selon la théorie de l’évolution).

Le concept de « survivance »

Concept clé de la méthodologie des évolutionnistes.

Ce sont des institutions, des coutumes, des idées typiques d’une période donnée qui, par la force de l’habitude, ont survécu dans un stade plus avancé de civilisation et peuvent ainsi être considérées comme des preuves ou des témoignages des stades antérieurs.

L’évolution est toujours « vers le haut », vers le mieux (le « progrès »); certaines communautés sont simplement « moins avancées » sur le chemin de l’évolution.

Exemples de survivances repérées par les évolutionnistes :

La schématisation du progrès suppose que l’homme blanc est déjà au stade le plus élevé de développement « culturel », servant de « modèle exemplaire » pour les autres peuples.

Lewis Morgan (1818-1881)

Morgan est ethnographe de terrain. Il connaissait très bien les Iroquois, les chasseurs, les trappeurs; il a fait de l’observation de longue durée. Pour lui, les hommes font partie de la même « race ». Il combat les thèses polygénistes qui diviseraient les êtres humains en plusieurs races.

Il soutient la thèse selon laquelle les autochtones d’Amérique sont originaires de l’Asie. Morgan voulait absolument prouver que toutes les sociétés autochtones sont matrilinéaires (mais les données qu’il a récoltées disent le contraire, si bien qu’il les met de côté pour continuer à écrire).

Il ajoute le stade de la « barbarie » aux stades de « civilisés » et « sauvagerie ». Il veut montrer que l’évolutionnisme fonctionne.

Les différentes étapes de l’état sauvage

Le stade inférieur de l’état sauvage : premiers pas de l’humanité; l’homme se nourrit de fruits et de noix, c’est-à-dire uniquement grâce à la cueillette. C’est à cette période que se développe le langage articulé. Il n’y a plus de société vivante pour témoigner de ce stade qui prend fin avec l’invention du feu et de la pêche.

Le stade moyen de l’état sauvage : avec le feu et la pêche, l’humanité s’étend sur des régions plus vastes; les Polynésiens et les Aborigènes australiens sont des illustrations de ce stade.

Stade supérieur de l’état sauvage : il commence par l’invention de l’arc et des flèches et est exemplifié par certaines tribus indiennes d’Amérique du Nord.

Morgan cherche des stades de survivance.

Les différentes étapes de l’état barbare

Stade inférieur de la barbarie : invention de la poterie (démarcation arbitraire); c’est une étape nécessaire entre la sauvagerie et la barbarie.

Stade moyen de la barbarie : usage architectural de la pierre, domestication de l’animal et agriculture irriguée. Ces critères ne sont pas présents partout.

Stade supérieur de la barbarie : fabrication du fer (voir les tribus grecques et antiques).

La civilisation commence avec l’alphabet phonétique.

Étonnamment, l’agriculture et la sédentarité, lesquels représentent des changements sociaux majeurs, sont absents.

Morgan fait une autre remarque : il relève la consanguinité des familles matriarcales et matrilinéaires.

Pourquoi ce modèle de fait de conjonctures ne tient-il pas?

Apports de Morgan à la discipline : Morgan a donné des bases solides à l’étude des relations de parenté qui allaient mobiliser considérablement l’attention des ethnologues.

Morgan détruit aussi l’illusion de la fixité en montrant que chaque institution est non seulement le produit d’une longue évolution, mais aussi qu’elle peut encore changer.

Edward Tylor (1832-1917)

Tylor est le premier professeur d’anthropologie à Oxford. Il utilise la démarche comparative pour démontrer que l’esprit humain fonctionne de manière relativement similaire dans toutes les sociétés.

Il parcourt les États-Unis et le Mexique. Il recense des pratiques d’auto-flagellation au Mexique; il fait le rapprochement avec des pratiques en Grèce antique, 2000 ans auparavant (approche par survivance).

Tous les traits d’une même culture n’ont pas évolué à la même vitesse et, dans une société donnée, il subsiste des traits qui apparaissent comme des vestiges du passé.

La théorie de la survivance se combine au principe de l’unité psychique du genre humain pour nous permettre de comparer et de reconstruire des schémas d’évolutions. Les survivances sont de véritables mines de renseignements historiques pour Tylor.

Les peuplades sauvages peuvent alors être pensées comme représentant les stades antérieurs de l’humanité.

Tylor, après Morgan, analyse la famille (parents et gendres) et se rend compte que, dans des familles matrilocales, le fiancé a très peu de contact avec la belle-mère, et c’est le contraire dans une famille patrilocale.

Primitive culture (1871)

Tylor définit la religion comme la croyance en des êtres spirituels (supposant que ce type de croyances est partagé par l’ensemble des sociétés humaines).

Deux questions se posent dès l’origine des hommes :

Les «philosophies sauvages» ont conclu de la présence dans l’homme un fantôme qui est son image. Cette « âme apparitionnelle » est pensée comme la cause même de la vie.

L’âme, bien qu’impalpable, a des propriétés physiques : elle peut se détacher du corps, apparaître dans les rêves, prendre le contrôle d’autrui… on peut aussi la manipuler (ce que font les chamanes et les sorciers, par exemple).

Vu ses caractéristiques, il devient logique qu’une âme soit prêtée aux animaux (qui vivent, meurent et sans doute rêvent).

Les plantes connaissent aussi la vie, la mort et la maladie, il est tout aussi logique de leur en attribuer une.

Tylor note aussi la croyance dans des âmes rattachées à des objets inanimés.

L’évolution est ancrée dans cette théorie, en effet :

Animisme : la nature est animée par des esprits. Cette époque marque une scission entre nature (mécanique) et culture. Tylor note la croyance dans des âmes rattachées à des objets inanimés.

Il définit ensuite l’animisme comme la croyance dans des esprits spirituels : « l’homme primitif a modelé les êtres spirituels sur l’idée qu’il s’est faite de sa propre âme », et parfois attribue ses esprits à ses défunts.

Cette théorie est discréditée au XXe siècle (elle ne fonctionne pas).

Fétichisme : en attribuant un objet à un esprit, on arrive à avoir une emprise sur la réalité par cet objet fétichisé.

Polythéisme, puis monothéisme : toutes ces approches s’inscrivent dans la logique de progrès linéaire.

Tylor écrit le premier manuel scolaire d’anthropologie (Anthropology) en 1881, lequel sera lu par des générations de chercheurs et d’étudiants. Il cherche à montrer qu’on peut comprendre toutes les civilisations à partir de certains principes anthropologiques (seul l’animisme perdure jusqu’à aujourd’hui).

James Frazer (1854-1941)

Les travaux de Frazer ont été battus en brèche, si bien qu’il est désormais pris comme un modèle « à ne pas suivre ». Frazer s’intéresse à une survivance qu’il qualifie de barbare dans le raffinement de la société romaine, et considère qu’il ne peut trouver la réponse qu’en observant les peuples « primitifs ».

Ses théories dans Le rameau d’or sont complètement spéculatives.
Frazer utilise la théorie pour accrocher quantité de faits disparates.

La théorie de Frazer sur la magie et la religion

Frazer a étudié le totémisme en Australie, dans une région réputée très primitive. Le totémisme consiste en l’attribution d’un animal à un individu ou une famille d’individus (par exemple : les hommes chasseurs de kangourous).

Frazer reprend des thèses de Tylor selon lesquelles pour les sauvages, les arbres et les plantes sont considérés comme des êtres animés contenant un esprit.

Ses théories sont tout simplement spéculatives.

Bilan de l’anthropologie évolutionniste

Peu d’éléments de l’anthropologie évolutionniste, à l’exception de l’animisme et du totémisme, sont restés.

Le survol historique vise à nous mettre en garde contre la comparaison abusive (il faut comparer des choses de manière comparable), religion (ce qui est sacré), alliances (matrimoniales, parenté).

Chaque théorie peut apparaître valide, et on peut montrer logiquement beaucoup de choses, mais il faut faire attention à la méthodologie. On doit en particulier se méfier des théories qui prétendent tout résoudre, avoir réponse à tout.

Autre problème : considérer que chaque stade nouveau est un progrès.

La contribution des évolutionnistes est avant tout historique : leur curiosité va jeter les bases de la discipline, poser des questions fondamentales et inciter leurs élèves à récolter de plus en plus de matériaux (passage de la conjoncture à l’empirisme).

Notes


  1. Vient du grec exôtikos, « étranger ». Retour ↩