Avant-propos

par Louis-Olivier Brassard

Ce recueil de nouvelles a été constitué à partir de fictions composées par Émile Brassard dans le cadre du cours Création littéraire : formes narratives brèves à l’Université Sherbrooke, à l’automne 2017. Les textes, sujets à des lectures et critiques collectives entre les étudiants du cours, ont été composés à partir d’un thème donné (le changement, la nuit, le silence, la voix, le temps), mais sans contraintes à l’égard de la forme (ou presque, avec une longueur prescrite de 1 à 5 pages – l’unité de mesure est obsolète ici).

La présente édition de ces nouvelles, publiées sous forme de recueil, a été réalisée par Louis-Olivier Brassard dans le cadre du cours Littérature et édition à l’Université de Montréal, à l’automne 2017.

Les nouvelles peuvent être parcourues ou non dans l’ordre proposé, avec ou sans la lecture de cette préface. Le choix est à la discrétion du lecteur.

Les éclaboussures

La première nouvelle était une réaction à l’attentat perpétré dans une mosquée de confession musulmane dans la ville de Québec en janvier 2017, mais dans une plus large mesure à une série d’actes terroristes médiatisés à l’international. L’événement demeurait néanmoins d’une violence rarement vue dans l’histoire du Québec moderne, et a de fait marqué instantanément l’imaginaire collectif. Dans son texte, l’auteur essaie de comprendre comment on en est arrivé à l’acte. Il ne s’agit pas d’une enquête psychologique (chose rigoureusement impossible), mais une exploration de l’intérieur, au stade de simple concept, une invitation peut-être à se mettre dans la peau de gens marginaux – non pour justifier, si cela se peut, de telles atrocités, mais simplement comme tentative de s’expliquer l’absurde, par le biais de l’auto-fiction.

Le profil du narrateur est à première vue bien éloigné de celui de l’auteur. L’emploi de la première personne, comme dans la plupart des nouvelles de ce recueil, confère à la narration une intimité immédiate avec le lecteur et rend compte d’une mentalité pratiquement orthogonale à celle de l’étudiant-auteur : on sent un ennui, une lassitude, voire une attitude carrément désabusée dans la première, alors que la seconde – pour la connaître personnellement – est tout sauf dogmatique, sans cesse réceptive aux nouvelles idées et s’exposant avec une curiosité frénétique aux divers enjeux de la société. C’est donc par une exploration vers les contraires, sorte d’antithèse entre le réactionnaire conservateur et le jeune altermondialiste, que l’auteur suggère de faire l’expérience de l’altérité.

À petit feu

Il émane de cette seconde nouvelle une atmosphère poisseuse, rythmée lentement – lassement – par le train-train quotidien d’un personnage obscur et mystérieux, un concierge de nuit dénommé Rod. L’auteur fait ici la mise en scène de quelqu’un dont on ne peut qu’imaginer, par pure spéculation, le réel vécu, essayant de se mettre dans la peau de celui « qui torche les toilettes », cet étrange ermite nocturne que personne ne semble connaître véritablement. On notera cependant qu’il s’agit de la seule nouvelle narrée à la troisième personne, point de vue qui ajoute au caractère étranger – autant pour le lecteur que pour l’auteur – du personnage.

Bien que Rod soit la seule figure humaine incarnée dans le texte, elle apparaît presque complètement dépourvue de vie. Elle est comparée – dans une amusante antiphrase – à « un bovidé qui mange toujours et encore de l’herbe », créature qui obtiendrait peut-être la réponse la plus populaire au sondage des animaux les moins expressifs. Par contraste, l’institution qu’habite le concierge, une école secondaire de Montréal, semble plus vivante que lui. On note des traces de personnification de cette « bête », dont Rod n’en nettoie pas moins les « parois intestinales », la « carcasse » d’un « corps » qui meurt à la fin de chaque journée lorsqu’il est vidé de l’activité humaine quotidienne.

C’est ainsi qu’avance le train de vie de Rod : péniblement, solitairement, à petit feu.

Le fil

La scène présentée ici est un tableau classique : une ambiance lourde à la table, où les communications familiales sont difficiles. La situation, qui trouve sa correspondance à des degrés variables à un moment ou à un autre dans tous les foyers, est pour la moins banale. Elle témoigne d’une sociabilité dysfonctionnelle, lacunaire, d’un vide communicationnel contre-balancé par la voix intérieure du narrateur qui se transforme en un déferlement impulsif de cognitions.

Le style précipité, les ellipses, les raccourcissements accélèrent le rythme de lecture pour rendre compte du flot d’idées. La ponctuation est délibérément estompée pour mieux évoquer la fluidité des pensées. Dans la nouvelle, il n’y a pas de règles : on ne connaît la grammaire que pour mieux la briser.

Naufrage

Dans cette quatrième nouvelle, l’auteur peint l’ambiance d’une mauvaise soirée passée à ne se faire que mal, à tenter de s’oublier, à se noyer dans des bains de foule et d’alcool. On y évoque un sentiment d’absence allant jusqu’à la perte de contrôle totale. On se laisse emporter par les vagues d’une boîte de nuit, au gré de vents aussi sombres qu’imprésibles. On remonte à la surface, on replonge; on respire, on meurt, à répétition. C’est l’image d’un marin perdu, qui a perdu le contrôle de son navire – quel que soit ce navire. Le nuage sémantique du naufrage est très fort, cela ne fait aucun doute; l’auteur l’a exploité à escient.

Richement illustré de parallèles imaginaires, ce texte illustre, à la manière d’un tableau ou d’une photographie complexes, le drame de l’incommunicabilité, l’impuissance silencieuse d’une âme privée de sa voix et de ses repères.

Mauvais départ

C’est la personnalité d’un individu névrosé, fâché, antisocial qui est ici creusée – un type passif-agressif « qui tue tout le monde dans sa tête » pour reprendre l’amusante expression de l’auteur, laquelle se teinte d’une sombre et viscérale ironie.

L’auteur explore la dualité de l’agitation intérieure et de l’expression extérieure, laquelle donne lieu à une forte discordance. On peut s’intéresser à la tempête qui reste dans son verre d’eau, aux flots d’émotions qui restent encapsulés dans une vie humaine. L’auteur nous entraîne vers des réflexions sur cette « nature humaine », si mystérieuse et pourtant si familière : Que nous révèlent les apparences? Que nous cachent-elles? Que pouvons-nous savoir quant à leur vraie nature?

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